Pierre Monnard de retour avec un long métrage

| mar, 06. mai. 2014
Originaire de Châtel-St-Denis, Pierre Monnard présente cette semaine Recycling Lily. Un premier long métrage sous forme de comédie fraîche et détonnante.

PAR YANN GUERCHANIK

Pierre Monnard est entré en cinéphilie en poussant la porte du Sirius. Il était tout petit. Le cinéma depuis, c’est lui qui le fait. Après des courts métrages et des clips vidéo, l’enfant de Châtel-St-Denis revient avec un premier long métrage sous le bras: Recycling Lily. Une comédie inspirée qui brocarde la Suisse avec malice. Projeté cette semaine sur les écrans romands, le film a fait un passage remarqué outre-Sarine ainsi qu’aux Journées de Soleure.
En 2002, La Gruyère avait tiré le portrait de Pierre Monnard. Tout frais émoulu d’une école de cinéma anglaise, il venait de remporter un prix à ces mêmes Journées de Soleure avec son court métrage Swapped. Il avait 25 ans. Il en a 37 aujourd’hui. Les mèches de sa chevelure ont gagné en longueur et en rébellion. «J’ai pas mal roulé ma bosse depuis cette époque. Pendant une dizaine d’années, j’ai réalisé des publicités et des clips vidéo principalement en France et en Angleterre. Cela a été une véritable formation.»
Installé à Zurich, il se met à élaborer l’aventure d’un inspecteur des poubelles dopé aux règlements et à la propreté. Recycling Lily prend forme. Une histoire en Suisse alémanique et en suisse allemand, qu’un Alémanique n’aurait sans doute jamais faite. Entretien.

Recycling Lily est un film très suisse qui ne fait pas du tout cinéma suisse! Très helvétique de par son sujet, il détonne par rapport à des films volontiers sombres et introspectifs qui peuvent caractériser le cinéma suisse…
C’est notamment quelque chose qui intéressait le producteur: faire un film suisse, mais différemment. Un peu plus décontracté, un peu plus coloré et visuel. Ce n’est pas parce qu’on est en Suisse qu’on doit forcément faire quelque chose de très réaliste et de tristounet. Même si les films suisses ne sont évidemment pas tous comme ça. Consciemment, j’ai voulu faire un film très suisse – par son sujet, sa langue, ses lieux – mais le faire dans un style qu’on n’a pas l’habitude de voir. D’un autre côté, j’ai simplement continué les explorations esthétiques entreprises avec mes courts métrages.

Pourquoi réaliser le film en suisse allemand plutôt qu’en français?
En 2006, lorsque j’ai commencé à développer cette histoire, je ne pouvais pas l’imaginer en français. L’actualité a quelque peu rattrapé le film depuis. Mais, à l’époque, le phénomène des inspecteurs et des taxes poubelles étaient alémaniques avant tout. Et puis, j’avais très envie de travailler avec les deux comédiens de langue allemande, Bruno Cathomas et Johanna Bantzer, pour les rôles principaux. Enfin, j’avais plus de contacts à Zurich.
Par ailleurs, avec le scénariste André Küttel on planche sur une autre histoire suisse: une comédie sur le Röstigraben. Un thème que je connais bien pour l’avoir vécu au quotidien. Cette fois, ce sera un film tourné en français avec pour personnage principal un bon Fribourgeois.

A la veille de cette sortie «à la maison», comment vous sentez-vous?
Je suis très heureux! C’est important pour moi qu’il sorte en Suisse romande et qu’on puisse le voir par exemple au Sirius, le cinéma où j’ai vu mon premier film, où j’ai présenté mes courts métrages. Je suis très attaché à mes origines fribourgeoises et châteloises. Mes parents habitent toujours la région, j’y ai beaucoup d’amis et j’y reviens très souvent, notamment pour la bénichon.
D’ailleurs, j’ai un peu fait le forcing auprès du distributeur alémanique. Pour eux, la Suisse romande est toujours un peu le parent pauvre. On me disait: «Ce n’est pas parce que tu es romand que les gens vont aller voir un film en suisse allemand.» Moi je pense que ce film parle aux Romands, qu’il possède un côté universel.


Une esthétique vintage, un côté carte postale qui contraste avec des séquences plus sombres, beaucoup de ralentis, des plans qui désorientent le paysage: votre image est riche et variée. Vous n’êtes pas avare de techniques visuelles…
Pour moi, le cinéma est avant tout un langage visuel. J’aime exprimer les émotions et l’histoire par le biais des comédiens, mais aussi par le biais des images. J’aime jouer sur la lumière et les couleurs pour créer des mondes. Le monde de l’inspecteur a en effet quelque chose de très carte postale, tandis que celui de Lily est plus sombre. Il est filmé caméra à l’épaule pour un côté plus instable. C’est de la psychologie un peu facile, mais ça marche! Il y a aussi le travail sur le son. Avec, d’un côté, un traitement proche de la comédie hollywoodienne et, de l’autre, un univers sonore plus dramatique.
J’aime bien utiliser toute la palette que nous offre le cinéma, sans avoir peur d’utiliser des ralentis par exemple. Alors peut-être qu’on y va un peu fort (rire)! C’est quelque chose que j’ai beaucoup expérimenté dans mon travail de clip vidéo. Là, il faut être un peu plus impressionniste et ne pas avoir peur de faire des effets.

Avez-vous des références cinématographiques qui vous ont notamment influencé pour ce film?
Le caméraman et moi, nous avons grandi ensemble visuellement. Pour ce film, on a énormément regardé Punch drunk love de Paul Thomas Anderson. Une comédie romantique très visuelle avec des personnages psychologiquement instables, un film qui n’a pas peur de jouer le kitsch à mort. On avait également Amélie Poulain dans un coin de la tête, mais d’une façon presque inconsciente. Wes Anderson aussi. Et puis, la bande dessinée est l’une de mes grandes inspirations. La ligne claire d’un auteur comme Chris Ware par exemple. D’autres réalisateurs influencent toujours: David Lynch, les frères Coen, David Cronenberg ou encore Tim Burton.

Tout visuel qu’il soit, Recycling Lily repose avant tout sur des personnages…
On voulait de belles images. Mais il fallait faire attention à toucher le spectateur, le faire entrer dans une histoire émouvante. On a donc essayé de construire des personnages forts qui nous entraînent. On s’est toujours inscrit dans une démarche honnête par rapport à eux, sans jamais rire à leurs dépens quand bien même on est dans une satire.

«Il n’y a pas que la loi, il faut vivre aussi!» scande un personnage secondaire. Y a-t-il une morale à cette histoire?
S’il y en a une, elle s’apparente à un plaidoyer pour la tolérance. La perfection et les règles sont des choses dont on a besoin, mais cela ne peut pas exister seul. L’ordre ne peut exister qu’avec le chaos et l’on ne peut être heureux que dans une sorte d’équilibre entre les deux. C’est un plaidoyer pour une Suisse un peu moins à cheval sur les règles et sur l’obsession de la perfection.


Fribourg, Rex, première mecredi à 18 h.
Châtel-Saint-Denis, Sirius, jeudi et samedi, à 20 h 30, en présence du réalisateur

 

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Moins en règle, plus en vie


Recycling Lily, c’est l’histoire d’un inspecteur de la voirie dans une petite ville suisse alémanique propre en ordre. Hansjörg Stähli est un pro du tri sélectif, un as de la sensibilisation au recyclage. Dans cette vie comme du papier à musique débarque Lily, une grande timide qui fera souffler l’amour et la nuance. Lily souffre de syllogomanie: un trouble obsessionnel la pousse à amasser de manière compulsive des tonnes de déchets dans son appartement. Par-dessus le marché, sa petite fille sème des ordures sauvages dans la ville comme on lance une bouteille à la mer.
Le premier long métrage de Pierre Monnard est une comédie romantique et pétaradante. Qui multiplie les effets visuels sans perdre le rythme, qui associe un décorum kitsch aux considérations sociales chagrines. Un film made in Switzerland détonnant. Qui a le mérite de militer pour une Suisse moins en règle, mais plus en vie. YG

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