Oui, les communes peuvent maîtriser leur développement

| sam, 15. nov. 2014
Pierre-Alain Rumley est l’un des spécialistes de l’aménagement du territoire en Suisse. Pour lui, les communes disposent de plusieurs outils pour maîtriser leur développement plutôt que le subir.

JEAN GODEL

Les communes ne sont pas démunies face à la promotion immobilière effrénée dont elles sont parfois l’objet, estime Pierre-Alain Rumley, loin de là! Ancien directeur de l’Office fédéral du développement territorial de 2000 à 2008, le Neuchâtelois sait de quoi il parle, lui qui a aussi été membre de l’Exécutif de Couvet de 1984 à 1996, puis conseiller communal de Val-de-Travers (2009-2011). Il insiste pourtant: ne connaissant pas le cas de Bulle, il porte ici un regard général sur la question.
Ce qui ne l’empêche pas d’enfoncer le clou: «Les communes ont même beaucoup de pouvoir.» Et peut-être même trop, notamment à Fribourg où l’aménagement du territoire est du ressort du seul exécutif. «C’est la dernière chose à faire!» jure celui qui a encore été de longues années, de 1984 à 1997, chef du Service de l’aménagement du territoire du canton de Neuchâtel. Un Conseil communal, a fortiori de milice, désigne bien souvent un de ses membres pour gérer les dossiers. Les autres membres, eux, suivent. Un département technique peut certes corriger le tir. «Encore faut-il qu’il ait de bons professionnels qui soient écoutés.»


Cascade de possibilités
Certes, une ville ne pourra pas s’opposer à des principes de base comme celui de la densification. «Mais quel type de densification veut-on? Cela, une ville peut le décider.» Lui plaide pour une densification raisonnée. Il ne s’agit donc pas de densifier une ville jusqu’à l’étouffer: «On ne peut pas ne pas tenir compte du paysage.»
A l’intérieur de la zone à bâtir, les autorités disposent d’une cascade de possibilités dont le Plan d’aménagement de détail (PAD). C’est lui qui fixe les grandes orientations d’un quartier, que les terrains soient en main communale ou non: implantation et volumétrie des constructions, indices d’utilisation du sol, distances aux limites, type de logements, etc.
Depuis peu, Bulle creuse cette piste en généralisant le MEP, le mandat d’étude parallèle (La Gruyère de jeudi). Une direction prise après avoir vécu de difficiles négociations autour de certains PAD insatisfaisants lui ayant été soumis par des promoteurs – notamment celui de l’arsenal. C’est encore la commune qui décide des secteurs où un PAD doit être établi. Elle définit aussi son règlement communal d’urbanisme (RCU), certes dans le cadre des normes cantonales et fédérales.
La commune dispose aussi d’une arme méconnue: la clause générale d’esthétique. Le préfet peut ainsi refuser un permis de construire si certains arguments prétéritent par trop l’harmonie du lieu. Fribourg dispose même d’une commission cantonale d’architecture et d’urbanisme, en l’occurrence bien peu saisie. «Pourtant, assure Pierre-Alain Rumley, la jurisprudence fédérale a plutôt tendance à protéger les intérêts généraux.»


Au départ était le PAL
Surtout, la commune est maîtresse de son Plan d’aménagement local. C’est dans ce document fondamental qu’elle fixe l’affectation de chaque zone. Mais une fois le PAL avalisé par le canton, il est difficile d’en modifier les défauts. Pourtant, là encore, estime Pierre-Alain Rumley, des outils existent. Comme la mise en réserve d’une partie d’une zone à bâtir surdimensionnée. Ou son dézonage, un instrument qu’a renforcé la LAT révisée. La manœuvre est pourtant délicate avec les indemnisations qu’elle induit (le canton planche sur la question).
Syndic de Bulle, Yves Menoud réfute l’idée que le PAL de Bulle ait été surdimensionné à l’origine: «Des choix ont été faits, on doit les accompagner. On pourrait user d’artifices comme la mise au placard des dossiers ou l’élaboration de taxes supplémentaires. Mais ce serait une atteinte au droit privé.»
Il est enfin une piste que les fondateurs, lundi, de l’Association pour la défense d’espaces verts de la commune de Bulle, comptent explorer: le Plan directeur d’agglomération. Pierre-Alain Rumley, l’un des pères du concept d’agglo en Suisse, explique qu’en cas de contradiction entre les plans de l’agglo et des communes, ce sont les PAL communaux qui doivent être révisés. «Je plaide d’ailleurs pour que l’aménagement du territoire passe aux agglomérations.»

 

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Bulle revient de loin

Gaston Dupasquier, conseiller communal de Bulle de 1954 à 1974, puis syndic jusqu’en 1986, a vécu la préparation du premier Plan d’aménagement local (PAL) mis à l’enquête en 1970. A 89 ans, l’ancien syndic se souvient de tout. Notamment de la situation de Bulle au sortir de la guerre: 5000 habitants et très peu d’activité économique. «Il y avait l’industrie du bois, l’usine Bochud et quelques entreprises de construction. Tout le monde partait, surtout ceux avec la moindre formation. Ne l’oublions pas! Durant mes trente ans à l’Exécutif, notre seule volonté a été de développer la ville.»
C’est pour cela que Bulle a eu, dès les années 1950, une politique d’achat de terrains. Comme ceux de WIB, en bordure de Bouleyres, mais aussi à Planchy, bien avant l’arrivée de l’autoroute. Parfois, la commune a même construit les bâtiments pour les remettre en location-vente aux industriels, condition à leur venue. Ce fut le cas pour Plastlabor ou la Fabrique de vêtements (actuel bâtiment des sociétés).
«Bulle a joué un temps les promoteurs – sans bénéfice – pour créer des places de travail.» Elle l’a aussi fait pour le logement, achetant des terrains pour les équiper à ses frais et les revendre aux promoteurs: «Avec une pénalité de 10 francs par mètre carré en cas de revente avant dix ans», se souvient l’ancien administrateur postal.
Le premier PAL était-il alors surdimensionné? «A l’époque, on ne le pensait pas: la mode était aux villas individuelles.» Et le document a été établi par un aménagiste, le même qui avait réalisé la planification de Bâle-Ville.
Alors oui, analyse l’ex-syndic, ça s’est emballé. «Mais la demande est là.» Pour lui, ce n’est pas tant le fait d’un manque de maîtrise qu’une conjonction de facteurs: une construction et de nombreux terrains moins chers qu’ailleurs, une Riviera qui déborde, des écoles (arrivées tardivement) renommées, l’autoroute, la position centrale, la qualité de vie, etc. «Conforme aux PAL successifs, le développement de Bulle n’a pas été anarchique. En tout cas tant qu’on construisait entre 60 et 80 appartements par an. Maintenant, c’est devenu bien trop rapide. Mais ce n’est pas la faute du PAL.»


Un manque d’harmonie
Aujourd’hui, Gaston Dupasquier s’inquiète surtout du caractère de cité-dortoir qu’a pris Bulle. Pour lui, il faut créer des places de travail pour trouver un équilibre entre logements et activités. Quant à l’argument de la densification, il l’entend, mais pas comme un «entassement dans des cubes».
Un grief que reprend volontiers son successeur Gérald Gremaud, syndic de 1986 à 1994. A 80 ans, il se dit amer: «J’ai honte de ce développement!» N’en porte-t-il pas une part de responsabilité? «Avec le Conseil communal, nous avons acheté du terrain pour le développement de Bulle, mais un développement harmonieux.» Lui renvoie à la Loi cantonale sur la construction (LATeC) qui, en son article 125, stipule que les bâtiments doivent être conçus «dans un souci d’harmonisation avec l’environnement construit et paysager, de façon qu’un aspect général de qualité soit atteint». Pour lui, on en est loin.
Quant à Jean-Paul Glasson, aux commandes de Bulle de 1994 à 2009, il estime qu’à son arrivée, la messe était dite: «La quasi-totalité des terrains était déjà en zone. Quand une construction est réglementaire et que les terrains sont là, la commune ne peut pas faire grand-chose.» Pour lui, il est un acteur dont on ne parle pas assez: le canton. «C’est surtout lui qui décide. Il n’avalise jamais un PAL sans exiger des corrections. Il a plus de pouvoir qu’il ne le dit.» JnG

Commentaires

On bétonne 1m2 par seconde dans notre petit pays. Les oiseaux ont disparu au nombre de 420 millions en europe en 30 ans. Eh bien si Ecopop ne passe pas, on aura le futur merdique que l'on aura mérité.

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