Le chant, ce patrimoine en manque de relève

| jeu, 08. sep. 2016
Source: photo prétexte arch – R. Gapany

On la dit bien vivante à Fribourg, pourtant, la pratique chorale peine à recruter de nouveaux membres.
Le phénomène touche surtout les céciliennes.
La solution réside en partie dans l’excellence, tant de la programmation que de l’interprétation.

Par JEAN GODEL

ANALYSE. L’arbre Tutticanti ne doit pas cacher la forêt: dans bien des chorales du canton, le problème de la relève est lancinant. Trois mois à peine après la Fête fribourgeoise des chorales, en mai dernier à Bulle, la Fédération fribourgeoise des chorales (FFC) organise, en ce mois de septembre, une opération «répétitions ouvertes» afin de recruter de nouveaux membres (La Gruyère du 30 août). S’il est encore trop tôt pour tirer un bilan, l’étiolement de nombreux chœurs, surtout des céciliennes, ces sociétés locales qui assurent les services religieux, inquiète.
C’est que la mode est aux «chœurs à projets», ces ensembles qui, loin des contingences liturgiques, préparent un concert après l’autre, de musique sacrée ou profane. Elle est aussi aux chœurs formés autour d’un chef. Mais la cécilienne, elle, ne séduit plus. Souvent déséquilibrée, en manque d’hommes et de jeunes, elle périclite. Le constat est unanime.
Charles Lambrigger l’estime même alarmant. Ce retraité installé à Gruyères et ayant chanté dans de nombreux chœurs durant sa vie professionnelle passée sur Vaud, a décidé de saisir le taureau par les cornes. Désormais actif à la Gruéria de Gruyères et à l’ensemble vocal Harmony de Broc, il est membre des deux commissions de la relève qu’il a contribué à y instaurer: «Il faut reconstituer ce tissu en train de disparaître, ce chant choral pourtant élevé au rang de patrimoine culturel immatériel. Les grands rassemblements ne suffisent pas.»
Créer des passerelles
Son constat: si les chœurs d’enfants et de jeunes ont le vent en poupe, il manque des passerelles pour amener leurs chanteurs devenus adultes dans les sociétés locales. Cet «attelage à trois moteurs» – chœurs d’enfants, de jeunes, d’adultes – Charles Lambrigger veut mieux l’exploiter en installant des courroies de transmission: répétitions qui se suivent, voire communes, chœur d’enfants chantant à une messe ou en première partie de concerts des plus grands, etc. Les idées ne manquent pas.
Cette «troïka» est en passe d’être réalisée à Gruyères, où l’enfant du pays Jocelyne Crausaz-Murith reprend dès ce mois les Grillons, le chœur d’enfants de la cité, en veilleuse depuis un an. «Les Grillons doivent devenir le vivier pour les chorales de Gruyères et de la région», espère Charles Lambrigger.
Mais cela ne suffit pas, estime-t-il: «Les chœurs ne doivent pas attendre que l’on vienne à eux. Chacun doit se sentir concerné et partir à la recherche de nouveaux membres.» Très entreprenant, Charles Lambrigger a ainsi constitué tout un matériel de promotion – lui parle de «manuel de drague». «C’est facile de parler du chant! Il suffit de dire tout ce que cela apporte.» Parmi les slogans qui font partie de son «kit» promotionnel à disposition des chanteurs: «Chanter, c’est mon meilleur remède antistress» ou encore «chanter, c’est se faire du bien à l’âme, au cœur et au corps».
Charles Lambrigger est assez sûr de son coup: confronté, dans les années 1990, au même problème dans un chœur vaudois, de semblables démarches avaient ramené une demi-douzaine de ténors (la denrée rare!) en deux ans.

 

Viser l'excellence ou péricliter

PISTES. Le passage du chœur d’enfants ou de jeunes au chœur d’adultes est délicat – c’est là un doux euphémisme. «Souvent, l’arrivée au CO est déjà fatidique», reconnaît Catherine Gremaud, directrice de la maîtrise du Pâquier. Institutrice au village, elle n’a aucun problème de recrutement: deux tiers des nonante écoliers fréquentent la chorale fondée en 1977 par Patricia Pasquier et qu’elle a reprise en 2002.
«Ils me connaissent tous, ça aide. Et la répétition suit la fin de l’école, c’est pratique pour les parents…» L’explication ne suffit pas. Car la directrice fait tout – à titre bénévole – pour motiver ses chanteurs: rien que cette année, ils auront quatre concerts au programme, notamment en première partie de chorales d’adultes. Mélanger les générations, un remède auquel recourt aussi Jocelyne Crausaz-Murith, directrice entre autres des Enchanteurs (chœur d’enfants) et de Zik’Zag (jeunes): «Ça crée du lien social et musical.»
Mais devenus adolescents, les garçons muent et les filles perdent elles aussi une part de confiance en elles. Parmi ceux qui continueront, très peu intégreront un chœur extérieur au CO: tant d’autres activités leurs sont offertes! Le temps est révolu où le chœur du village était la seule occasion de sortir et d’intégrer la société des adultes. Quand ils rejoignent tout de même un chœur – souvent de jeunes ou à projets – «ils vieillissent avec lui et ne reviennent presque jamais à la chorale du village, constate Catherine Gremaud».
Le rôle du chef
Cela dit, bien des céciliennes font preuve d’une belle vivacité. Certaines fusionnent, comme dans l’Intyamon. D’autres parviennent à se renouveler. Ainsi la Cadette, de Middes, une cécilienne que dirige aussi Jocelyne Crausaz-Murith: sa plus jeune chanteuse a moins de 20 ans et plusieurs autres moins de 30 ans. La directrice l’avoue: «Le chef joue un grand rôle.» Frédéric Rody, lui aussi à la tête d’un chœur mixte très actif – l’Espérance de Vuadens – ne dit pas autre chose: «Sur 25 chanteurs, seuls une dizaine viennent de Vuadens, les autres m’y ont suivi.»
En fait, l’Espérance concentre plusieurs qualités, à la fois cécilienne (une messe par mois en moyenne), chœur à projets (concerts plus ambitieux, souvent avec d’autres formations) et chef dont le carnet d’adresses a attiré une certaine «clientèle» de l’extérieur. Résultat: quatre nouveaux chanteurs commencent ce mois-ci. Une mue salutaire qui appartient sans doute à la solution. «Mais chaque cas est différent, répète Frédéric Rody: à chacun de faire son marketing!»
Excellence recherchée
A tout cela manque pourtant ce petit quelque chose qui fait la différence et qu’explique Jocelyne Crausaz-Murith: «L’énergie que dégage un chœur, que l’on ressent aux concerts et qui donne envie de venir chanter.» Une énergie que servent à coup sûr une programmation plus ambitieuse (sans être élitiste) et un travail inlassable sur l’interprétation.
«Les gens apprécient ce travail», résume Bernard Maillard, maître de chapelle à Bulle. Celui qui dirige la Maîtrise et le Chœur Saint-Pierre-aux-Liens en veut pour preuve la qualité souvent élevée des chœurs à projets si appréciés. A contrario, la pratique chorale périclite là où l’on s’est longtemps contenté de peu. «Or la musique est une nourriture spirituelle recherchée.»
La Maîtrise et le Chœur Saint-Pierre-aux-Liens sont d’ailleurs appréciés du public et des chanteurs pour avoir résisté à l’appauvrissement musical induit par Vatican II: avec leur chant grégorien, leurs messes concertantes et leurs nombreux concerts. La passerelle entre maîtrise et chœur, dirigés par le même chef, est aussi très empruntée. Résultat: sur la cinquantaine de membres du chœur, une bonne dizaine proviennent de la maîtrise et les âges vont de 15 à 82 ans!
Pourtant, Bernard Maillard voit lui aussi partir de ses jeunes chanteurs: «C’est à chaque fois un crève-cœur. Mais je fais le pari de la jeunesse: former des enfants qui, s’ils arrêtent, reviendront peut-être un jour, chez nous ou ailleurs.» JnG

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