Quand le quotidien décrit l’histoire d’une région

| sam, 26. nov. 2016

Danielle Aeby-Magnin raconte dans un livre le quotidien des Gruériens des années 1930 à 1970. Autrefois, le travail en Gruyère donne la parole à 44 témoins, qui parlent de leur métier. Rencontre avec l’auteure et quelques protagonistes à l’occasion du vernissage.

Par Valentin Castella

«Conserver la mémoire du quotidien». Voilà l’objectif que s’était fixé en 2011 Danielle Aeby-Magnin lorsqu’elle a commencé à écrire son livre Autrefois, le travail en Gruyère. Edité à 2000 exemplaire et disponible depuis hier, cet ouvrage raconte comment vivaient les habitants du district entre les années 1930 et 1970. Sauf que ce ne sont pas les livres et les notables, habituellement mis en en lumière qui décrivent cette histoire, mais bien les «gens normaux».

L’ancienne enseignante bulloise, déjà auteure du livre Le temps de la vie, paru en 2010,
a décidé de choisir le thème du travail pour parler de cette période. Six chapitres animent cet ouvrage: à la ferme et à l’alpage, à l’usine, les services et la fonction publique, à l’atelier, dans les commerces et, enfin, à la maison. «J’ai rencontré 44 témoins et nous avons navigué dans les eaux des souvenirs, en vivant des moments d’émotion ou de franches rigolades.»

En effet, au fil des pages, le lecteur a l’occasion de découvrir le quotidien des Gruériens vivant à cette époque. Un temps où il faisait parfois bon vivre, mais pas seulement. «Je ne suis pas tombée dans le piège du “c’était mieux avant”, car je suis née en 1953 et j’ai vu que la vie n’était pas si jolie que ça. Que certains avaient de la peine à trouver à manger, que les fins de mois étaient difficiles.»
 

L’évolution de la région
En voyageant de l’alpage des années 1930 à l’usine Nestlé de Broc ou dans les coulisses des commerces et bistrots régionaux, on découvre l’histoire d’une région, racontée par ses acteurs. «Il était important de transmettre les souvenirs des anciens sur leur mode de vie», reprend Danielle Aeby-Magnin.

Des propos relayés par Isabelle Raboud, directrice du Musée gruérien et présente hier lors du vernissage en compagnie de tous les protagonistes du livre: «Ce travail apporte un incontestable élément de mémoire et nous permet de constater l’évolution de la région. Certaines choses racontées seraient aujourd’hui jugées inacceptables. Alors que c’était ordinaire à une certaine époque, qui n’est finalement pas si éloignée.»

«Rappeler les coutumes»
Présent lors du vernissage, Charly Gapany, chauffeur de bus dans les années 1960 (voir ci-dessous) s’est montré très fier de figurer parmi les témoins. «Les choses ont beaucoup changé. Quand les gens montaient dans le bus, ils disaient “salut Gapany”. Aujour-d’hui, plus personne ne parle au chauffeur. Il était important de rappeler les coutumes de l’époque.»

Boucher à Bulle, Jimmy Remy relaie dans le livre les propos de son grand-père,
l’un des acteurs de l’émeute des bouchers en 1944 à Bulle. Il dit que c’est notamment pour ses petits-enfants qu’il a tenu à témoigner: «En quelques dizaines d’années, nous som-mes passés de l’insuffisance alimentaire au surplus. Je souhaitais qu’ils sachent comment nous vivions à l’époque. Et puis, j’adore me replonger dans les souvenirs, parce que j’adorais mon métier.»

Chauffeur, boucher, agriculteur, commerçant, bûcheron, mère au foyer, couturière, livreur du syndicat agricole, postier, tenancière de bistrot, ouvrier, scieur, employé de commerce… Autant de métiers toujours d’actualité qui étaient, on le découvre dans ce livre, totalement différents il n’y a pas si longtemps.

Autrefois, le travail en Gruyère, Danielle Aeby-Magnin, Editions La Sarine, 136 pages

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Des anecdotes d’un temps révolu

Un jeune bouébo (dans les années 1930):
«Le dimanche, je m’accoudais à la demi-porte du chalet, espérant voir ma mère sortir à l’orée de la forêt, au fond du pâturage.
Elle venait me voir deux ou trois fois durant l’été. Mon père montait une seule fois pour chercher le sérac de cinq kilos.»

Un ouvrier dans une scierie (1940):
«Les premières années, je gagnais 1 fr. 70 l’heure, ça ne faisait donc pas très lourd à la fin du mois. Il fallait travailler deux ans pour obtenir deux jours de congé par an: c’étaient nos vacances.»

Une employée de bureau (1940):

«Quand je tapais à la machine (...) je devais placer trois feuilles superposées: la première, blanche, était pour le client, celle du dessous était le papier carbone et, enfin, tout dessous, la feuille très fine, jaune, qui était le double pour notre classeur. C’était la photocopie de l’époque.»

Une gérante d’épicerie (1950):

«Les moments où je n’avais pas de clients, je me mettais sur le banc devant la vitrine du magasin et je tricotais, ou raccommodais. Les dames qui passaient s’arrêtaient pour donner des nouvelles d’une personne tombée malade ou à l’hôpital. D’autres fois, c’était une naissance... Les nouvelles de la vie, quoi!»

Une employée de poste (1960):

«Les cabines téléphoniques étaient dans le hall de la poste. Quand la personne désirait téléphoner, elle venait au guichet et demandait sa communication. Nous débloquions alors la cabine correspondante et mettions le compteur sur zéro. Une sonnerie retentissait quand elle avait terminé (...). Un jour, Fernand Raynaud est venu pour téléphoner à l’étranger. Je m’attendais à ce qu’il nous fasse rire... Mais il était plat comme tout.»

Un employé de poste (1960):

«Le jour où les retraités recevaient l’AVS, c’étaient 10000 francs à distribuer dans la journée. (...) Je peux dire que les gens étaient contents de me voir arriver. D’ordinaire, ils m’invitaient volontiers à boire un café, mais les jours d’AVS, ils m’offraient un ballon de rouge.»

Un policier chargé de contrôler les heures de fermeture des manifestations (1960):

«Le samedi soir, on allait où se tenaient des lotos et des kermesses. Des fois, ça bringuait un peu... Mais on était pas à cheval
sur l’heure. Par exemple, quand il y avait “pique double”, si les joueurs étaient à 1000, on les laissait bien sûr finir la partie. Il fallait pas emm...!»

Un chauffeur de bus GFM (1960):
«Malgré le panneau “Ne pas parler au chauffeur”, certains clients s’asseyaient sur la banquette près de moi et me parlaient en patois. (...) L’un d’entre eux, alors que nous étions déjà arrivés depuis un moment à la gare de Fribourg, n’en finissait toujours pas de me parler. Alors sa femme lui dit, toujours en patois: “Maintenant, viens, Joseph”, à quoi il répond: “Attends, je discute un peu avec Gapany”.»

Un ouvrier à l’usine Nestlé, à Broc, à propos du 21 juillet 1969:

«Je me souviens quand la navette Apollo a atterri sur la Lune. Je travaillais à la conden-serie quand, sur une petite radio, nous avons entendu que les cosmonautes avaient atterri sur la Lune. Ils avaient réussi! Nous, on se disait: “On est là parmi ces boilles et eux, ils atterrissent sur la Lune.”»

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