A la rencontre de ces migrants venus enrichir notre monde

| jeu, 01. juin. 2017

Depuis 2015, Jacques Cesa a remonté le flux des migrants en Italie. Les œuvres rapportées témoignent de leur dignité et de leur joie d’être vivants. L’exposition est un des événements phares du festival Altitudes qui débute ce week-end.

PAR JEAN GODEL

«J’ai entrepris ce voyage pour rencontrer les migrants, témoigner de leur présence, capter leur histoire. Ces autres, l’étrangeté de leur physique et de leur culture, cette altérité m’attire irrésistiblement. Il me fallait donc aller là-bas. Et puis je voulais aussi réveiller cette trace de l’Italie qui est en moi, la vérifier, savoir une fois pour toutes si l’Italie est vraiment comme ça.»
De retour de ce périple dans la terre de ses ancêtres (huit semaines de camping-car en 2015, du Simplon à Catania, puis sept, l’an dernier, de la Sicile à Lampedusa par les transports publics), Jacques Cesa expose à la Part-Dieu le fruit de sa remontée des flux migratoires (La Gruyère du 5 mai 2015). Intitulé A contre-courant, l’accrochage est l’un des événements phares du sixième festival Altitudes consacré, dès ce week-end et jusqu’au 25 juin, aux instincts migratoires.
L’infatigable Gruérien, qui fêtera ses 72 ans le 12 juin, a bousculé son mode de faire pour coller à la fugacité de certaines rencontres et pénétrer au plus profond des plaies. Le résultat: des fusains réalisés sur le vif, puis retravaillés dans le camping-car ou à l’atelier de Crésuz, de retour en Suisse. Mais aussi des pastels, plus aboutis. «Le fusain pour la chair des êtres, le pastel pour l’air de l’Italie.»


La «Porte de l’Europe»
Certaines œuvres montrent des rencontres précises, circonstanciées. D’autres sont plus allégoriques, comme cette musulmane en deuil, recueillie devant la mal nommée Porte de l’Europe, une œuvre d’art installée sur la plage de Lampedusa, face à la mer. Ou cette petite fille jouant dans la rue, au pied de l’Etna, et sur laquelle un papillon bleu s’est posé.
Que sait-il maintenant, Jacques Cesa, de ces migrants qu’il n’a fait que croiser? Grâce aux engagés de Terre des hommes Italie ou de Caritas Italie, dont il salue l’engagement, il a pu forcer les portes de quatorze camps. «J’y ai vu des gens beaux, dignes et humbles, calmes, propres et à l’endurance extraordinaire. Des gens largement au-dessus de la mêlée politique.»
Un membre d’une ONG lui a dit de ne jamais s’attacher à un migrant. «Quand on est chair à chair avec des hommes qui ont tellement envie de s’en sortir, c’était terrifiant. Mais de fait, j’étais les mains vides, lessivé et démuni devant la force tellurique de la migration. C’est ce qui a été le plus dur.»
Jacques Cesa sait bien que ces voyageurs d’infortune n’ont pas nécessairement compris sa démarche: «Ils voulaient d’abord que je témoigne de leur présence, que je dise qu’ils étaient là. L’œuvre artistique comptait moins.» Pour autant, l’image d’eux-mêmes qu’elle leur renvoyait les a souvent bouleversés.
Le peintre voyageur a tenu leurs drames à distance: «Je n’avais pas envie de témoigner à leur place de ce que je n’avais pas vécu – ces enfants qui meurent devant leur mère, ces événements incroyablement tragiques. Non, j’ai voulu témoigner de leur joie d’être vivants. On a transformé ces gens en masse, mais ce sont des êtres en vie, avec leur histoire, leurs passions, leurs proches restés au pays. Voilà ce qu’il faut comprendre!»
Les Italiens rencontrés ne l’ont pas déçu non plus. Comme les gardes-côtes et les carabiniers, à l’engagement irréprochable. Ou encore, à Palerme, ces permanences de quartier où se tissent des liens entre les migrants et les habitants qui les prennent en charge. «Malgré la lassitude, les Palermitains ne lâchent pas prise.»


Le mouvement du temps
Parti pour témoigner des affamés de la Terre, Jacques Cesa revient pour alerter l’Europe repue: «C’est comme en peinture, où les influences extérieures ont bouleversé les pratiques artistiques: les cimes de la civilisation ont toujours coïncidé avec des vagues migratoires venues nous enrichir. Pourquoi a-t-on cessé de les laisser venir? Je ne comprends pas cet obscurantisme de l’Europe. C’est le mouvement de la nature et des hommes, celui du temps depuis des millénaires.
»Mon témoignage doit servir. Car nous devrons vivre avec eux. J’ai senti une grande fatigue chez ces migrants qui, à force d’être humiliés, sont au bout de quelque chose. Il y a là des réservoirs d’humanité en résistance qui, un jour, exploseront.» ■

Vernissage à la Part-Dieu, samedi 3 juin, à 18 h

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