Une boulangerie exploitant la «misère humaine» fermée

| mar, 19. déc. 2017

Une boulangerie orientale de l’agglomération bulloise a été fermée dimanche. L’entreprise, déjà sanctionnée à 23 reprises, employait des collaborateurs illégalement depuis 2008 dans des conditions déplorables. Selon le préfet Patrice Borcard, ils gagnaient 6 francs par heure.

PAR VALENTIN CASTELLA

Travail au noir, manque à la sécurité alimentaire, problème au niveau de la sécurité du bâtiment et utilisation illégale de l’établissement: une boulangerie orientale de l’agglomération bulloise a accumulé tellement d’infractions qu’elle a été fermée dimanche par les autorités. Le tout en ayant déjà été sanctionnée 23 fois depuis neuf ans!
C’est à la suite d’une intervention menée conjointement le 30 novembre par la Préfecture, différents services de l’Etat, la police, la commune concernée et l’ECAB, que cette fermeture a été effectuée. Elle est officielle depuis dimanche, à la suite des différents constats des services. Sur place, la vingtaine de personnes présentes ont pu observer assez d’éléments susceptibles de boucler cette boulangerie, produisant principalement du pain pour les kebabs.
Dans les murs de cette entreprise gérée par une personne d’origine turque, le Service de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (SAAV) et la Service public de l’emploi (SPE) ont été mis à forte contribution. Selon le préfet Patrice Borcard, le SAAV, «qui a jugé la situation dangereuse», a établi une longue liste d’éléments ne respectant pas les normes. Notamment au niveau de la sécurité, avec l’utilisation du gaz. Sans oublier le manque d’hygiène constaté à l’intérieur. De son côté, le SPE a pu intercepter quatre personnes travaillant illégalement.


Conditions déplorables
Ces derniers exerçaient d’ailleurs leur emploi dans «des conditions déplorables», selon le préfet. «Certains travaillaient de 16 h à 4 h, sept jours sur sept pour un salaire de 2000 francs par mois. Soit six francs par heure. Le gérant exploitait la misère humaine de ces gens sans-papiers.» Des chiffres contestés par le propriétaire du bâtiment, d’une surface d’environ 400 m2: «Ce n’est pas les tarifs que j’ai entendus. Je ne parlerais pas d’exploitation, car ils étaient en partie nourris. Et puis, un Suisse plus “speed” aurait certainement passé moins d’heures à effectuer les mêmes travaux.»


Depuis 2008 déjà
En plus d’un salaire misérable, certains collaborateurs ont logé au-dessus de l’usine. «Un dortoir a été installé dans un dépôt, décrit le préfet. La commune était déjà intervenue plusieurs fois à ce sujet.» Réponse du propriétaire: «J’ai loué cet emplacement comme vestiaires. J’ai mis tout le monde dehors lorsque j’ai compris, ce printemps, que je pouvais être complice si je logeais des gens en situation irrégulière.»
Cette boulangerie orientale n’était pas inconnue des services présents lors de l’intervention. Depuis 2008, soit quelques mois seulement après le début de son activité commerciale, elle a été suivie par l’Etat. Au total, elle a été visée par 23 sanctions, provenant du Ministère public et du SAAV. Avant celle-ci, deux fermetures temporaires avaient même été prononcées, toujours pour les mêmes raisons: le travail au noir et la sécurité alimentaire. «En neuf ans, une soixantaine de travailleurs ont été dénoncés, continue le préfet. Plus de quarante interventions et contrôles ont été effectués dans ces locaux.»
Jusque-là, le gérant, déjà condamné à sept reprises, a toujours pu continuer son activité. Pourquoi? Grâce à l’article 77 de la Loi sur l’emploi et le marché du travail, qui stipule qu’en cas de suspicion de travail au noir, une activité ne peut pas être suspendue en cas de collaboration de l’employeur. Et comme le gérant a toujours collaboré, il a pu poursuivre ses activités, malgré des amendes.


«L’autorité bafouée»
«On ne pouvait plus tolérer que l’état de droit soit bafoué à ce point, reprend Patrice Borcard. Malgré toutes les sanctions, le gérant a poursuivi ses activités illégales. Il basait son système économique sur le travail au noir. Il en allait de la crédibilité du système d’agir.»
La préfecture, qui a empoigné ce dossier il y a une année et demie, a actionné un levier de sa compétence: celui de la Loi sur l’ordre public (sécurité du bâtiment et utilisation illégale des locaux) et de la sécurité publique. Ainsi, elle a pu regrouper tous les éléments se trouvant dans les bureaux des différents services de l’Etat et mettre sur pied l’inspection commune du 30 novembre qui a entraîné la fermeture de l’établissement.
«Le système étant trop compartimenté, il fallait qu’une autorité prenne en charge ce dossier. Cela devenait une évidence, tant on se moquait de l’autorité.»
Employant une dizaine de personnes et vendant ses produits dans toute la Suisse romande et dans le canton de Berne, l’entreprise a donc été fermée, sans effet suspensif. Le propriétaire de l’établissement et le gérant ont la possibilité de faire recours jusqu’au début du mois de février. «Si ce n’est pas le cas, cette boulangerie sera définitivement fermée.»


Pas la vigilance requise
Au niveau des peines encourues, le gérant, qui louait le laboratoire, risque une nouvelle amende. Quant au propriétaire, établi en Gruyère, il peut être tenu responsable de n’avoir pas eu la vigilance requise. «Je n’étais de loin pas au courant de tout ce qui se passait.» ■

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