L’ alliance de gauche n’a pas d’autre choix que de survivre

mar, 27. mar. 2018

PAR JEAN GODEL

Non sans dignité, Valérie Piller Carrard est venue très tôt consommer sa défaite, dimanche à l’Hôtel cantonal. «Je remercie l’électorat progressiste et ouvert du second tour. Mais je regrette fortement ce résultat et je crains pour l’avenir du canton.»

Qui a eu tort? Les Verts, en annonçant le jour même de la démission de Marie Garnier qu’ils lanceraient une candidature? Ou les socialistes qui, dédaigneux envers leurs alliés juniors, ont lancé Valérie Piller Carrard? Dimanche, on s’est renvoyé la balle, Verts et socialistes versant dans le «c’est les autres qui ont commencé». Une chose est sûre: l’heure n’était pas à l’autocritique…

Le Centre Gauche-PCS, qui a joué l’alliance en soutenant la socialiste au second tour – ce que n’ont pas fait les Verts – dénonce la surdité de ses frères ennemis, incapables de s’asseoir à la même table: «Nous nous sommes sabordés nousmêmes, se désole Diego Frieden. Cette claque nous renvoie plus de vingt ans en arrière, quand la droite détenait une majorité plus qu’absolue de cinq élus et que le Gouvernement ne comptait qu’une femme.»

Balayant l’argument de l’erreur de casting souvent lancé à la figure de Valérie Piller Carrard, il doit constater froidement qu’elle était la candidate avec le moins de chances de l’emporter au second tour: «L’électorat du centre et de la gauche plurielle, y compris socialiste, a peu goûté nos divisions. Seul, le PS n’y arrive pas.»

Chez les Verts, le président Bruno Marmier constate «avec tristesse» que le PS, en tout cas son comité, «a quitté l’alliance de gauche pour ses intérêts propres», sacrifiant les fruits de plusieurs années de travail commun. Il dénonce aussi une campagne «invraisemblable» des socialistes: «Ils l’ont voulue clivante alors qu’il fallait une personnalité capable de ramener des voix de l’extérieur. Ils ont attendu un retour mécanique des voix de Sylvie Bonvin-Sansonnens au deuxième tour, sans nous tendre la main.» Sylvie Bonvin-Sansonnens, elle, craint que «ces élections ne donnent une mauvaise image de la gauche fribourgeoise».

Marie Garnier en cause

Chez les socialistes, on hésite entre le «c’est un résultat logique au vu de la force de la droite dans le canton» et le «on ne pouvait pas faire autrement étant donné la faiblesse de la candidate des Verts, en politique depuis à peine trois ans». On susurre aussi que son score du premier tour «aurait profité des bisbilles à gauche…»

Surtout, à l’instar de leur président Benoît Piller, les socialistes constatent que Marie Garnier a ouvert la porte à la droite: «Son bilan nous a fait craindre la perte du troisième siège.» Chef du groupe socialiste au Grand Conseil, Pierre Mauron reproche même à la ministre d’avoir «offert son siège à la droite en démissionnant pour une peccadille sans que personne ne le lui demande.» Car, rappelle-t-on, ce n’est pas le PS qui a perdu un siège, mais bien les Verts.

Enfin, des missiles très personnels sont envoyés de part et d’autre. Contre le chef du groupe PS Pierre Mauron, à qui l’on reproche d’avoir instrumentalisé cette élection pour accéder au Conseil national. «On minimise l’impact de ses visées dans la décision du PS», insiste Bruno Marmier. Un reproche que l’on comprend parfois même au sein du PS, malgré le démenti formel de Raoul Girard: «Jamais Pierre Mauron n’est intervenu dans le choix de la candidature.»

Réplique de Pierre Mauron, à l’adresse du président des Verts: «Bruno Marmier a eu une attitude exclusivement critique à l’adresse du PS. En conflit avec tout le monde, il a l’art de tout ramener à des querelles de personnes. Il serait bien qu’il se remette en question. Car l’adversaire, c’est la droite, pas le PS.» Chez les socialistes, l’effet repoussoir de Bruno Marmier se renforce…

Un champ de ruines

Et maintenant, que fait-on sur ce champ de ruines? On s’entend, pardi! Au PS, on en prend le chemin, même si l’on sait que l’alliance a toujours été le fruit des circonstances. «Tout est ouvert, assure Pierre Mauron: les partis doivent discuter et envisager le scénario le plus favorable pour l’alliance et pour eux-mêmes.»

Plus sibyllin, Jean-François Steiert bat le rappel: «Les gens intelligents regardent vers l’avenir. Ils apprennent du passé, sans pour autant le ressasser, cela ne sert à rien.»

Issu de la puissante Fédération de la ville de Fribourg, Xavier Ganioz, vice-président du PS cantonal, reprend aussi l’initiative: «L’heure est à la modestie. Nous avons commis une erreur stratégique, il faut la reconnaître avec humilité. Ça permettra aux Verts de recommencer à parler de politique avec nous. Mais aussi en tirer le bilan à l’interne pour se remettre immédiatement au travail avec nos partenaires.» Car l’enjeu est grand, surtout dans le Grand Fribourg où, unie, la gauche fait du bon boulot, souligne le député.

Forcés de s’unir

Les Verts le savent bien: sans le PS, ils ne pèsent pas lourd: «Nous sommes ouverts à tout partenariat “win-win” basé sur le respect mutuel», résume Bruno Marmier. Viceprésident des Verts suisses, Gerhard Andrey constate que les trois partenaires de l’alliance sont alignés sur la plupart des dossiers: «Nous sommes forcés de travailler ensemble.» Au Centre Gauche-PCS, Diego Frieden confirme: «C’est évident, en 2019 pour les fédérales et en 2021 pour les cantonales, il faudra défendre l’alliance de gauche. Mais une alliance équilibrée où chaque parti est légitime.»

Les deux femmes de ces joutes se disent partantes. Valérie Piller Carrard d’abord, que sa campagne a renforcée pour un troisième mandat au Conseil national. Paradoxalement, même si elle a beaucoup gagné en notoriété, Sylvie Bonvin-Sansonnens devra se battre sur plusieurs fronts en 2021.

A gauche, où les socialistes hésiteront à la soutenir, elle qui n’a rien fait de ses 20 000 voix dans l’entre-deux tours. A droite et au centre enfin, qui savent désormais combien elle est dangereuse. ■

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