Un passage à faune pour recréer une voie migratoire

| jeu, 26. jui. 2018

PAR VALENTIN CASTELLA

D’ici cinq ans, il sera possible qu’en roulant sur l’autoroute un cerf ou un sanglier marche paisiblement au-dessus de nos têtes. En effet, un passage à faune va être construit entre Vaulruz et Semsales. Pourquoi? Pour permettre la migration et la dispersion des espèces animales à grande échelle. Un objectif rendu impossible depuis les années 1980 et l’essor des axes routiers dans le pays. A l’époque, on a construit des routes, sans se soucier du confort et de la survie de la faune. Son habitat naturel a été fragmenté. Certaines populations ont été isolées et dans l’incapacité de poursuivre l’échange génétique, indispensable à la survie locale d’espèces.

Aujourd’hui, les mentalités ont changé. Une première directive en faveur de la faune a été émise en 2001. Puis, l’année dernière, un nouveau plan d’action biodiversité a été adopté par la Confédération, afin de réparer les erreurs commises quelques décennies plus tôt. L’une des solutions est la construction de passages à faune. Soit de ponts végétalisés qui surplombent les routes. Ce qui permet aux animaux de traverser en toute sécurité et de poursuivre leur migration. Déjà existante depuis de nombreuses années, cette technique est aujourd’hui remise au goût du jour. En Suisse, une quarantaine de projets, d’importances diverses, devraient éclore d’ici 2030.

Des animaux bloqués

L’un d’eux se situe donc entre Vaulruz et Semsales. Ce futur pont, qui devrait voir le jour en 2023, permettra aux animaux de transiter de la vallée de la Trême à l’autre côté de l’autoroute. Soit des Préalpes au Plateau. «Hormis une petite route, goudronnée et très bruyante, il n’existe pas de passage entre Châtel-Saint-Denis et Bulle», explique Elias Pesenti, biologiste au Service des forêts et de la faune du canton de Fribourg. Les animaux arrivent à cet endroit, car la topologie du terrain s’y prête bien, et ils observent. Certains essaient de passer, d’autres rebroussent chemin.»

Conséquence directe: de nombreux accidents ont lieu dans le secteur. «Dix-huit animaux ont été tués en une année, dont des sangliers et des cerfs. Ce qui n’était pas habituel jusque-là concernant ces deux espèces, explique le gardefaune José Genoud. Cet hiver, la neige était abondante et les sangliers sont descendus en plaine. Comme ils étaient bloqués par l’autoroute, la plupart sont restés au même endroit. Ce qui a entraîné plusieurs accidents et des dégâts.»

Les cerfs commencent également à s’installer dans cette zone. Exterminés dans les années 1870, puis de retour dans le canton en 1978, ils migrent petit à petit en direction du Plateau. «Avant, on en apercevait quelques-uns, continue le garde-faune. Aujourd’hui, ils sont nombreux, car coincés par la route. Tôt ou tard, le cerf va passer de l’autre côté, direction le Jura. Le passage à faune lui permettra ainsi de poursuivre sa migration naturelle.»

Entre 7 et 10 millions

Ce pont, justement, à quoi ressemblera-t-il? Il sera situé au-dessus de l’autoroute et reliera deux forêts. Estimé entre 7 et 10 millions de francs, il sera composé de prairie, d’arbres et de pierres. «Le but est que l’animal ne se rende pas compte qu’il se trouve audessus d’une route, décrit Elias Pesenti. Afin de limiter les nuisances sonores et visuelles, des parois, hautes de plus de deux mètres, clôtureront le tracé.» Concernant la largeur de la construction, le minimum légal est de 45 mètres. «Nous visons les 80 mètres, reprend Elias Pesenti. Ce corridor constitue un projet pilote dans le plan d’action biodiversité. Nous pouvons donc espérer davantage de confort pour les animaux.»

Destiné principalement aux chevreuils, cerfs, chamois, sangliers, loups, lynx, renards, blaireaux, putois, fouines et lièvres, les onze espèces cibles de la Confédération, ce passage devrait être plat, «afin d’adoucir la transition entre le terrain naturel et le pont», poursuit Elias Pesenti.

En bois ou en béton?

La structure de cette construction, entièrement financée par la Confédération, n’est pas encore définie. Sera-t-elle en bois? «Nous soutenons cette idée, dit le biologiste. Mais l’Office fédéral des routes est un peu plus sceptique, car cette matière tiendrait le coup moins longtemps. J’espère qu’il sera possible d’allier béton et bois suisse.»

Enfin, dernière prérogative à l’efficacité d’un tel ouvrage: éviter la proximité avec la population. «On l’a remarqué grâce à une étude menée par nos soins: le mammifère qui utilise le plus ce genre de passage est… l’être humain», constate Elias Pesenti. «C’est vrai que c’est joli pour se promener et surtout pratique pour franchir les routes plus rapidement, complète José Genoud. Le seul problème est que les animaux sentent la présence d’un homme avec son chien par exemple. Ils vont se méfier. Selon une étude, aucun passage n’est en moyenne enregistré jusqu’à deux heures et demie après la visite d’un homme et de son compagnon de promenade.» Afin de pallier ce problème, il se pourrait qu’un accès limité soit installé. Un couloir de seulement deux à trois mètres, afin de diminuer les nuisances pour les animaux. ■


Un pont entre Epagny et Enney?

Dans le sud du canton, plusieurs installations ont été mises en place ces dernières années dans le but de protéger la faune contre le trafic. Il existe notamment un avertisseur sur la route reliant Broc à La Tour-de-Trême. «Il s’agit d’un système avertissant le conducteur de la présence d’un animal, décrit Elias Pesenti. Une première romande. Lorsque l’automobiliste voit une lumière s’allumer, il ralentit forcément. Depuis son installation, en juin 2017, aucun accident n’est survenu dans cette zone.»

Elias Pesenti évoque également un projet d’une tout autre envergure. Il s’agit de la construction d’un nouveau passage à faune, surplombant la route cantonale entre Epagny et Enney, avant la zone industrielle et la gare d’Estavannens. «Il est actuellement à l’étude en collaboration avec le Service des ponts et chaussées. Dans cette zone, de nombreux animaux sont présents et tentent d’avancer.»

Encore au stade de l’étude, cette nouveauté, considérée d’importance régionale et non suprarégionale comme celle de l’autoroute entre Vaulruz et Semsales, serait cette fois-ci financée principalement par l’Etat de Fribourg. Au niveau des délais, le collaborateur scientifique ne peut donner de date précise. «Cela peut aller très vite comme prendre vingt ans.»

VAC

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