Faire du «Ranz des vaches» l’hymne du canton de Fribourg

mar, 26. mar. 2019
Faire du Ranz des vaches l’hymne fribourgeois, l’idée séduit Francis Antoine Niquille, alors qu’Isabelle Raboud-Schüle trouve cela inutile. ANTOINE VULLIOUD

PAR XAVIER SCHALLER

RANZ DES VACHES. Institutionnaliser par décret le Ranz des vaches au rang d’hymne officiel du canton de Fribourg. Voilà ce que les députés UDC Michel Chevalley (Tatroz) et Nicolas Kolly (Essert) demandent, par motion, au Conseil d’Etat. La directrice du Musée gruérien Isabelle Raboud-Schüle et l’éditeur charmeysan Francis Antoine Niquille débattent de cette démarche.

Le Ranz des vaches comme hymne fribourgeois, bonne idée ou pas?

Francis Antoine Niquille.
Je suis favorable à un chant de rassemblement des Fribourgeois. Il y a un côté émotionnel qui me plaît, une fierté de chanter l’hymne fribourgeois, d’avoir un chant un peu à nous.

Isabelle Raboud-Schüle. C’est déjà le cas. Ce qui est formidable, c’est cette mélodie simple, avec sa dynamique qui monte et qui peut accueillir des émotions différentes: celle d’avoir gagné un match comme celle de se retrouver avec des Fribourgeois à Genève ou avec des Suisses en voyage organisé à l’autre bout de la planète. Pour moi, il ne faut rien de plus.

Il est vrai que les autres cantons romands ont déjà un hymne officiel…

I.R. Je trouve la question inutile. Il faudrait déjà se poser la question de savoir à quoi doit servir un hymne. Ce que les gens ont envie de chanter n’a pas besoin d’être décrété officiellement.

F.A.N. L’hymne permet d’avoir un point commun entre toutes les catégories de la population. Le Ranz des vaches a une connotation émotionnelle qui touche les Fribourgeois et les gens au-delà du canton.

I.R. Le Ranz des vaches, c’est d’abord une émotion, une émotion liée à la voix et au fait de pouvoir reprendre le refrain ensemble. Ce côté communautaire est très fort et fonctionne spontanément tellement bien qu’il n’y a pas besoin d’en faire un hymne officiel.

Et au niveau des paroles, cela reste une histoire de désalpe et de curé…

F.A.N. Pourquoi ne pas le revisiter? Il est clair que si vous regardez les 19 couplets, certains sont un peu ringards, avec cet anticléricalisme qui lui a été reproché, ou machos quand même, avec cette histoire de servante (voir encadré).

I.R. Merci! Il faut quand même le dire. Pour les femmes, ce serait quand même particulier de considérer ça comme un hymne qui peut représenter tout le monde.

Pour la représentativité, le patois ne pose-t-il pas aussi problème?

I.R. Il y a quelque chose de cocasse de vouloir faire d’un chant en patois l’hymne du canton, alors que Fribourg en a officiellement interdit la pratique et l’a sévèrement proscrit dans les écoles. Il y a peut-être d’abord une réflexion à faire sur la place que peut avoir le patois. Et aussi le patois alémanique. Est-ce pertinent qu’une députée lacoise soit assermentée devant le Ranz des vaches? Un chant en patois gruérien où les femmes sont inexistantes…

F.A.N. On pourrait revisiter les paroles en conservant la musique, qui reste extraordinaire et qui a d’ailleurs été reprise par des artistes comme Thierry Lang ou I Muvrini. Cela s’est fait pour d’autres chants. Créer un Ranz des vaches un peu moderne avec, pourquoi pas, un programme pédagogique pour les classes.

La motion demande un décret pour la journée fribourgeoise de la Fête des vignerons, le 20 juillet…

F.A.N. L’idée des deux députés est bonne, mais on ne peut pas l’empoigner comme ça. Cela ne doit pas se décider à une session du Grand Conseil, en disant: êtes-vous pour ou contre.

I.R. C’est un peu dommage de demander aux députés à se prononcer là-dessus, alors que les choses se passent naturellement bien: on chante le Ranz des vaches quand on a envie de célébrer cette manière d’être ensemble. Il faut éviter que cela devienne quelque chose qui n’appartient qu’à certains, qui rassemble, mais en délimitant ceux qui sont dans le cercle de ceux qui n’y sont pas.

Notamment à travers le patois…

F.A.N. Le patois n’exclut personne. C’est une langue qui peut être chantée par toutes les générations et toutes les seulement quelques députés, quelques officiels et quelques intellectuels. Sans faire du populisme, cette question touche l’ensemble de la population. La grande question est: est-ce que nous voulons aujourd’hui que ce chant devienne le chant de rassemblement des Fribourgeois? 

I.R. Mais il l’est déjà.

F.A.N. Pas dans le sens où je l’entends.

I.R. Il est mis à toutes les sauces, sorti à toutes les occasions. On l’a chanté pour l’inauguration d’un centre commercial, pour la fête de lutte…

F.A.N.… pour des enterrements, des mariages, des baptêmes. Oui, bien sûr. Mais j’aime, quand même, l’idée de se poser la question d’un hymne. Ce Ranz des vaches est tellement pris dans mes gènes, depuis mon enfance. Peut-être moins pour vous…

I.R. Je m’oppose violemment à ça. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas née ici, avec quatre grands-parents gruériens, que l’on ne ressent pas cette émotion du Ranz des vaches. A la suite d’un article paru dans La Liberté, des gens m’ont reproché mes propos en disant: vous n’êtes pas de la région, votre nom de famille n’est pas d’ici. Il faut couper très court à ce genre de raisonnement.

F.A.N. Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Il y a des couillons, je ne suis pas d’accord avec eux.

Est-ce que, justement, cette question d’hymne n’est pas liée à la crainte de perdre une identité qui n’est plus partagée par les jeunes ou les nouveaux arrivants?

I.R. Des personnes récemment installées s’intéressent au patois parce qu’il fait partie de ce pays, comme certains éléments du paysage ou certaines constructions. Dans ce sens, je trouve intéressant de continuer de chanter le Ranz des vaches en patois et pas dans sa version française. Mais laissons les gens chanter ce qu’ils ont envie de chanter. Laissons le Ranz des vaches vivre – et il vit très bien – se développer, évoluer, s’adapter au goût des gens.

Vous pensez qu’un statut officiel va empêcher la créativité?

I.R. Il y a déjà une tendance à voir une version officielle dans celle harmonisée par l’abbé Bovet. Il faudrait donner un signal d’ouverture, que celui qui veut faire une tout autre harmonisation, jazzy, électronique ou je ne sais quoi, ne se fasse pas descendre en flèche comme cela a souvent été le cas.

F.A.N. On doit laisser l’initiative aux artistes. Mais de temps en temps, on doit aussi inciter. Et on n’incite pas assez. J’ai participé à deux gros projets en patois: la traduction des aventures de Tintin, il y a douze ans avec l’association Alpart des amis suisses de Tintin, et maintenant celle des Lettres de mon moulin, avec les Editions de Montsalvens. Beaucoup de choses se font déjà, mais je pense qu’un Ranz des vaches revisité en patois pourrait être un genre de colonne vertébrale et générer des vocations. ■


La traduction des dix-neuf couplets

Pour ceux qui ne savent pas ce que le Ranz des vaches raconte, voici la transcription des dix-neuf couplets. Faite par Albert Bovigny, elle est tirée du dossier consacré au chant sur le site des traditions vivantes:

Les armaillis des Colombettes/De bon matin se sont levés.
Quand ils sont arrivés aux Basses-Eaux/Le chancre me ronge!Ils n’ont pu passer.
Pauvre Pierre, que faisons-nous ici?/Nous nous sommes pas mal embourbés
Il te faut aller frapper à la porte/A la porte du curé.
Que voulez-vous que je lui dise/A notre brave curé.
Il faut qu’il dise une messe/Pour que nous puissions passer.
Il est allé frapper à la porte/Et il a dit ceci au curé:
Il faut que vous disiez une messe/Pour que nous puissions passer.
Le curé lui fit sa réponse:/Pauvre frère, si tu veux passer
Il te faut me donner un petit fromage/Mais sans écrémer le lait.
Envoyez-nous votre servante/Nous lui ferons un bon fromage gras.
Ma servante est trop jolie/Vous pourriez bien la garder.
N’ayez pas peur, notre curé/Nous n’en sommes pas si affamés.
De trop «moler» votre servante/Il faudra bien nous confesser.
De prendre le bien de l’Eglise/Nous ne serions pas pardonnés.
Retourne-t’en, mon pauvre Pierre/Je dirai pour vous un Ave Maria.
Beaucoup de biens et de fromages je vous souhaite/Mais venez souvent me trouver.
Pierre revient aux Basses-Eaux/Et tout le train a pu passer.
Ils ont mis le kio (présure) à la chaudière/Avant d’avoir à moitié trait.

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