Membre des Young Gods, Al Comet a passé six mois à Bénarès, où il a joué du sitar huit heures par jour, en y mêlant ses sonorités électroniques. Avant son concert de samedi au Bad Bonn, à Guin, il raconte son séjour sur les traces des Beatles…
CHRISTOPHE DUTOIT
Depuis un quart de siècle, Alain Monod s’appelle Al Comet quand il joue des samplers avec The Young Gods, le groupe suisse pionner de la musique electro-industrielle sur la scène internationale. De retour de six mois de résidence à Bénarès, dans l’atelier de la Conférence des villes suisses en matière culturelle (La Gruyère du 21 juin 2011), Alain Monod a gagné le surnom de Mahadev Cometo, pseudonyme sous lequel il donnera un concert de sitar, ce samedi, au Bad Bonn de Guin.
«Peu après mon arrivée, en juillet dernier, je me suis retrouvé par hasard dans un studio d’enregistrement», racontait-t-il ce mardi au Buffet de la Gare, à Fribourg. «On m’a demandé ce que je pensais du mixage et j’ai poliment fait une remarque.» Un peu sur le ton du défi, le type lui demande alors de prendre sa place devant l’ordinateur. Sans doute ne soupçonnait-il pas un instant qu’il avait affaire à un redoutable bidouilleur informatique, remixeur notamment de Noir Désir? «J’ai empoigné la souris, j’ai commencé à toucher deux ou trois réglages et j’ai balancé la sauce! Ils n’avaient jamais entendu un truc pareil.»
Assis, les gars lui demandent de revenir le lendemain. «Finalement, j’ai mixé deux albums en quelques jours. Depuis, ils ont commencé à me traiter de génie», sourit-il avec ce brin de malice dans le regard qui en appelle autant à sa modestie qu’à une certaine fierté. «Ils m’ont appelé Mahadev, qu’on peut traduire par “le grand dieu” si l’on parle de Shiva, mais qui se dit souvent dans la rue dans le sens “tout de bon, que les dieux soient avec toi”. Du coup, aux Indes, on m’appelle Mahadev Cometo!»
Dans la ville sainte au bord du Gange, Al Comet n’a pas perdu de temps. «Après une semaine, j’avais trouvé mon gourou et acheté mon sitar.» En Inde, la musique sacrée s’apprend en tant que disciple au contact d’un maître, à l’image de Rabindra Goswami. «Le premier jour, je croyais avoir fait bonne impression, mais après trente secondes il a susurré dans son anglais teinté de hindi: “Bon! on va commencer par le début!”»
En sang de labeur
Le Fribourgeois de 52 ans joue alors entre huit et dix heures par jour, jusqu’à ce que ses doigts saignent de labeur. «Le nom des notes et les écarts entre elles ne sont pas les mêmes que chez nous. Après un mois, j’avais encore énormément de peine à me souvenir de simples mélodies. Comme si un Indien venait chez nous et était incapable de chanter Frère Jacques…»
De fil en aiguille, le musicien perd les mauvaises habitudes apprises depuis quelques années en autodidacte. Dans sa chambre, il voit à deux pas le palais de Raman Niwas, là même où les Beatles ont séjourné dans les années soixante. «Tout ce processus remonte à mon adolescence, lorsque je suis tombé sur The concert of Bangladesh. Je n’ai remarqué que récemment que j’avais repris la mélodie de Ravi Shankar sur mon album Sitarday, sorti en 2000.»
Les Beatles, Al Comet les reprend à son compte sur scène, avec une version hallucinée de Tomorrow never knows. «Je reprends aussi Lyôba. C’est drôle, car la mélodie ressemble presque à un raga que j’ai appris là-bas!»
Mahadev Cometo est monté deux fois sur scène à Bénarès avec un joueur de tablas et ses compères de toujours, Bertrand Siffert (mixage) et Jean-Louis Gafner (projections visuelles). Dans un amphithéâtre et à Assi Ghat, sur les rives du Gange. «Les Indiens ont l’oreille très pointue, je les ai sentis très concentrés sur la musique d’Alain», raconte Bertrand Siffert, qui n’a entendu que des éloges à l’issue de la prestation. «Un gars m’a dit: “C’était génial, les sons tournaient et partaient dans le ciel!”»
D’ici, on ne s’en rend pas bien compte, mais ce diable d’Al Comet n’a pas chassé son naturel de malaxeur de sons, même dans le saint des saints indien. A son instrument acoustique, il branche toute une panoplie d’effets, de pédales de guitare, de samplers, d’appareils à créer des boucles ou autres phénomènes soniques qui ouvrent de nouvelles portes à la perception du sitar.
En décembre, quelques jours avant de rentrer en Suisse, Al Comet a ainsi vécu l’apothéose de son aventure. «Un jour, j’ai enfin pu jouer avec Shri Rajaneesh Tiwari (tablas) et Rabindra Goswami. Durant une heure et demie, mon gourou m’a envoyé des moulures, avec à chaque fois un léger sourire par-dessus ses lunettes. Puis il m’a invité à monter sur scène avec lui dans le temple des musiques indiennes. J’ai pris mon matos electro et on a joué Tomorrow never knows devant un parterre de puristes.»
Une leçon de présent
Bien qu’il ait encore de la peine à atterrir de son voyage, Al Comet retrouve peu à peu son quotidien. Sur le mode pause depuis six mois, les Young Gods vont repartir sur de nouveaux projets. «Moi, je vais maintenant travailler avec un percussionniste d’ici, pour “européaniser” un peu les sonorités de là-bas», dit-il avec l’espoir de jouer sur scène et d’enregistrer bientôt un disque de sitar. Car, parmi la quantité de choses apprises en Inde, il en est deux dont il fait maintenant son credo: d’abord retenir la «leçon de présent» vécue par les Indiens et, surtout, «ne jamais faire de compromis sur sa musique», une philosophie partagée lors d’une rencontre avec une chanteuse âgée de 70 ans, qui restera aussi au firmament de ses souvenirs de Bénarès.
Guin, Bad Bonn, samedi 7 janvier,
dès 21 h 30. Infos: www.badbonn.ch
Commentaires
BERSIER Charles (non vérifié)
jeu, 05 Jan. 2012
Comte Michel de... (non vérifié)
sam, 07 Jan. 2012
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