PAR JEAN GODEL
Porter secours, il connaît, Alfons Jaggi: né en 1942, il a suivi son premier cours central de sauvetage en 1964… Alors en 2008, quand le 144 Fribourg lui offre de fonctionner comme «first responder» à Bellegarde, cela lui a paru évident. Depuis, ils sont quatre à assurer ce service pionnier dans le canton.
«First responder» pour premier répondant. Des personnes de proximité capables d'administrer les gestes qui sauvent avant l’arrivée des secours professionnels. Avec la mise en place de l’HFR en 2007 et la centralisation des ambulances à Vaulruz, l’éloignement de Bellegarde devenait problématique. «En cas d’urgence vitale, la réponse doit être extrêmement rapide», explique Manuela Spicher, responsable du 144 Fribourg. Pour un accident vasculaire cérébral, chaque minute perdue diminue de 10% les chances de survie. Or, Vaulruz-Bellegarde en ambulance, c’est vingt-cinq à trente minutes, avec ou sans sirène.
D’où l’intérêt des premiers répondants. Ils font désormais partie intégrante de la chaîne de secours, au même titre que les ambulanciers, les médecins d'urgence, les hôpitaux, la police, la Rega, les pompiers, les colonnes de secours du Club alpin suisse ou encore le soutien psychologique.
L’expérience du père
En 1942, le père d’Alfons Jaggi, buraliste postal à La Villette, comme lui, sort indemne d’une grosse avalanche. «Cet événement l’a marqué: après, il nous disait toujours qu’il fallait aider les autres.» Ce fond de vallée garde aussi dans ses gènes la trace d’événements qui auraient pu être tragiques. Comme l’avalanche du 11 janvier 1954 qui avait emporté 45 bâtiments sans faire de victimes. Ou celle de février 1968: une coulée, qui avait bloqué la route peu après La Villette, a en fait sauvé la vie à des écoliers neuchâtelois qui se rendaient à la colonie de Bellegarde qu’une deuxième coulée détruira quelques minutes plus tard…
Les gens auxquels le 144 s’est adressé sont donc expérimentés. Membre de la colonne de secours de Bellegarde, membre fondateur, en 1966, des samaritains, Alfons Jaggi a aussi été conducteur de chien d’avalanche. Son fils, Urs, est premier remplaçant de la colonne de secours dont font aussi partie les frères Linus et Thomas Buchs, les deux autres premiers répondants – Linus est en outre conducteur de chien d’avalanche et spécialiste du sauvetage héliporté. Tous sont samaritains. Et bénévoles.
Toujours le chemin direct
S’ils ne sont pas médecins, ils en connaissent un bout en matière d’urgence. Alfons Jaggi raconte cette année 1968, quand la dernière infirmière a quitté Bellegarde. «J’ai alors appris, avec d’autres samaritains, à faire des piqûres et les médecins nous envoyaient dans la région exercer notre art…» Un embryon des «first responders» en somme. Plus tard, Alfons Jaggi apprendra la pose de perfusions. Et à 70 ans, il suit toujours la dizaine de cours annuels des samaritains.
Quant aux interventions, il y en a entre cinq et dix par an. Véritables éclaireurs, les premiers répondants coordonnent les secours pour une efficacité maximale: même si une ambulance part de toute façon, eux déterminent très vite s’il faut plutôt un hélicoptère ou la colonne de secours. «Il n’y a pas de problème de hiérarchie: le chemin le plus direct est toujours le meilleur.» Et puis ils effectuent les premiers gestes, ceux qui sauvent: bouteilles à oxygène, défibrillateur, ils disposent de matériel de pointe. Sans parler de l’équipement de sauvetage en montagne.
Il y a parfois de simples demandes de renseignements: «On nous appelle pour savoir où envoyer l’ambulance: dans le Gros-Mont, certains chalets ont trois noms, français, allemand et patois…» Les méprises peuvent être graves: «Un jour, on nous a annoncé un accident cardiaque à Obfängli, se rappelle Alfons Jaggi. Mais il y a deux chalets de ce nom, Ober et Unter Obfängli! On n’y a rien trouvé. En passant un ou deux coups de fil, j’ai compris que ça se passait au Fängli, un bistrot sur les pistes du Jaun, un lieu-dit qui ne se trouve pas sur la carte…» La connaissance du terrain est un atout précieux.
L’homme en profite du coup pour faire passer le message: «C’est aussi pour ça que c’est important que vous, la presse, vous écriviez Jaun et Im Fang, et non pas Bellegarde ou La Villette!» Dont acte.
--------------
L’exemple tessinois
En cas d’urgence, le 144 avertit par pager les premiers répondants. Ceux-ci se rendent sur place et renvoient immédiatement une première description du cas, qui vient compléter les renseignements fournis, parfois dans la confusion, par les témoins. «Qu’ils confirment ou infirment la gravité annoncée de l’urgence, ils nous aident à y voir plus clair», apprécie Manuela Spicher, responsable du 144 Fribourg. Ils complètent donc les secours, jamais ils ne les remplacent ni ne les concurrencent. Bien sûr, ils effectuent aussi les premiers gestes et peuvent demander l’envoi de moyens médicaux particuliers.
A La Villette (pardon: à Im Fang), leur matériel est stocké dans le dépôt de la colonne de secours et des Samaritains. Le 144 n’a fourni que l’essentiel: les pagers et une petite valise avec bouteille à oxygène et divers accessoires. «Il faut être mobile, léger» rappelle Alfons Jaggi. Tout le reste appartient aux autres entités. Le défibrillateur, lui, a été donné par la commune et financé par une collecte.
Jusqu’au fond des vallées
Pour l’heure, seul Jaun bénéficie de cette couverture «qui a fait ses preuves», estime Manuela Spicher. Laquelle verrait d’un bon œil l’extension du concept à d’autres régions.
Le Tessin, lui, est pionnier. Depuis 2005, la fondation Ticino Cuore (partenariat privé-public) se donne les moyens d’augmenter les chances de survie des victimes d’accident cardio-vasculaire: le taux y est de 14% (autour de 5% à Fribourg et en moyenne suisse). Et même de 38% pour les seuls arrêts cardiaques. Le but étant d’arriver à 50%. Pour cela, Ticino Cuore forme un maximum de personnes aux cours BLS («Basic life support» ou mesures de base pour sauver la vie) et AED (utilisation de défibrillateurs). Elle équipe le plus de partenaires possible, publics et privés, de ces appareils de réanimation, notamment un réseau dense de premiers répondants, jusque dans les vallées les plus reculées.
«Ils sont bien au-delà des “first responders”, corrige Christophe Roulin, directeur-adjoint du Service ambulances de la Sarine: ils ont formé à ce jour 50000 Tessinois en AED-BLS, dont tous les élèves de 12 ans.» Pompiers et policiers s’y sont mis et 600 défibrillateurs sont recensés sur le territoire, tous reliés au 144. Christophe Roulin travaille à la mise en place d’une telle fondation dans le canton de Fribourg. JnG
Ajouter un commentaire