PAR YANN GUERCHANIK
Un rayon vous manque et tout est chamboulé. A Bulle, les clients de Gruyère-Centre en perdent leurs tomates et leurs côtelettes de veau. «Vous ne sauriez pas où sont passés les poissons surgelés?» demande une dame. Sur la pointe des pieds et la tête la plus en l’air possible, un autre chaland scrute les rangées à la recherche des téléviseurs. Certains sourient, d’autres grincent des dents.
Depuis peu, le centre commercial Migros a condamné provisoirement une grande partie de sa surface de vente. Le chantier devisé à 30 millions de francs (lire ci-contre) est entré dans sa phase la plus sensible pour la clientèle. Le grand distributeur aurait pu fermer boutique le temps des travaux. Comme à Neuchâtel où une Migros MM avait fermé durant trois mois pour transformation.
A Bulle, les stratèges du géant orange ont jugé possible de ménager la chèvre et le chou. Autrement dit, concilier les besoins de la clientèle avec les impératifs des travaux. «L’objectif est de garder le plus possible le centre en activité», affirme le chef de projet David Menoud. «On doit donner au client l’impression qu’il ne fait pas ses courses dans un chantier», ajoute Claudio Musitelli, chef de service au département commercial.
De fait, les travaux s’entendent et se devinent, mais les couloirs sont assez larges pour la valse des caddies. Actuellement, toute la partie entrée est fermée par des panneaux en bois. «Ce sera ainsi jusqu’en juin, explique David Menoud. Ensuite, nous fermerons l’espace des produits surgelés et des boissons, puis l’espace central et, enfin, le fond du magasin. Nous suivons le parcours que fait d’habitude le client.»
Ménager les habitudes
La tactique est simple: perturber le moins possible les acheteurs dans leurs habitudes. «On procède par grandes étapes contraignantes d’un point de vue de la surface, précise le chef de projet. Le premier changement est important, mais la situation a l’avantage d’être stable pendant plusieurs mois.»
Le client peut ainsi reprendre une forme d’habitude. «On cherche la stabilité dans le changement en quelque sorte», résume Claudio Musitelli. En matière de grande distribution, la recherche du produit doit être réduite à néant. Le chaland n’a pas de temps à perdre, il doit littéralement tomber sur son bocal de cornichons à l’ail.
Les scènes presque comiques qui se jouent à Gruyère-Centre depuis quelques jours en sont la preuve: les clients sont inévitablement perturbés. Cela peut donner lieu à une sorte de solidarité: chacun s’attache à échanger ses informations. Plus rarement, certains font part de leurs remontrances au personnel en chemise et cravate orange.
«Beaucoup de clients préparent leur billet à commissions d’après les rayons du magasin, indique le gérant de Gruyère-Centre Jean-Paul Eltschinger. Lorsqu’ils ne trouvent pas l’un des produits, ils ont souvent l’impression que plus rien n’est à sa place.» Forcément, le personnel est davantage sollicité pour montrer l’emplacement de tel ou tel article. «Eux aussi ont dû apprendre la nouvelle géographie du magasin.»
Le gérant relève un autre comportement: «Beaucoup se préoccupent du bien-être des collaborateurs.» En d’autres termes, il arrive que les clients plaignent les employés. A cause du bruit qu’ils doivent inévitablement subir à longueur de journée. A cause de la chaleur aussi. Un grand nombre de frigos autonomes sont réquisitionnés le temps des travaux. Ces derniers ont tendance à chauffer le magasin malgré les quelques climatiseurs appelés en renfort.
Un mal pour un bien
Pendant cette première phase du chantier, le magasin compte presque 30% de surface en moins. Pour ne pas présenter un espace trop confiné, certains assortiments ont simplement disparu, notamment les articles de sport. Lors de promotions, il y a quelques palettes en moins que d’habitude.
Dans ces conditions, les clients n’ont-ils pas tendance à déserter le centre? «C’est une certitude! réplique Claudio Musitelli. Une petite partie de la clientèle n’a pas envie de ce dé-sagrément. On le sait et on l’a budgétisé.» Les responsables constatent déjà une fréquentation au-dessus de la moyenne à la Migros de La Tour-de-Trême. Et ils savent pertinemment que certains changent de crémerie.
Le chiffre d’affaires est fatalement en baisse. Mais le centre bullois n’est pas astreint aux mêmes critères de rentabilité que normalement, explique le chef au département commercial: «Les employés passent plus de temps auprès du client, les frigos sont plus petits, il faut donc les remplir plus souvent... La productivité n’est pas la même.»
Pas de quoi affoler Claudio Musitelli pour autant: «Nous sommes convaincus que le jeu en vaut la chandelle. Cet été, les clients découvriront une première partie de la nouvelle surface et devraient être épatés!»
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Rénovation en profondeur
Au terme du chantier devisé à 30 millions de francs (sans compter les transformations des magasins locataires), le centre Migros de Bulle gagnera son troisième M. Le navire n’est pas agrandi, il est rénové. Le bâtiment, qui date de 1977, sera refait à neuf aussi bien esthétiquement que techniquement. Même chose au niveau de la surface de vente: «On va procéder à un repositionnement de la marchandise, précise le chef de projet David Menoud. Ce sera quelque chose de nouveau tant du point de vue des matériaux que des couleurs.»
«Au final, l’assortiment sera comparable à celui d’Avry-Centre», ajoute Claudio Musitelli, chef de service au département commercial. Le cheminement entre la Migros et Pôle Sud, le centre commercial voisin, sera également amélioré pour permettre une meilleure synergie entre des grandes surfaces qui proposent des produits «complémentaires». Des travaux de réfection seront menés en ce qui concerne le parking, mais sa structure restera la même. La fin des travaux est prévue d’ici à une année. YG
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