Le Salève, montagne volée

| mar, 30. jui. 2013
Pour suivre La Gruyère dans sa quatrième étape de la découverte de la Suisse romande, il faut aller en France. Et rejoindre, en téléphérique, le Salève, cette montagne emblématique que les Genevois se sont appropriée.

PAR JEAN GODEL

Les Londoniens ont Hyde Park, les Parisiens le bois de Vincennes, les Genevois, eux, ont «leur» Salève, qui est français comme ils feignent de l’ignorer. Il est vrai que leur canton a participé pour une bonne part à la rénovation du vieux téléphérique inauguré en 1932 et contraint à l’arrêt par les autorités en 1976: vétuste et chroniquement déficitaire, l’installation était jugée dangereuse, notamment parce que ses cabines, trop proches, risquaient de se toucher par forte bise…
S’ensuivit une longue bataille portée par des collectivités françaises désargentées et dont l’issue sera trouvée par le Conseil d’Etat et Edmond de Rotschild – on est à Genève – lors d’un dîner organisé par ce dernier dans son château de Pregny en 1979. Inauguré en 1984, le nouveau téléphérique voit pourtant sa fréquentation tomber à 70800 passagers en 2003.


De Genève à Montmartre
Depuis, la tendance s’est inversée: une structure juridique simplifiée et une gestion externalisée ont fait bondir les chiffres qui désormais frisent les 200000 passagers annuels. Depuis le 1er mai dernier, les collectivités publiques suisses et françaises, propriétaires à parts égales, en ont confié la gestion à un groupement d’entreprises conduit par RATP Dev, filiale de la RATP (oui, le métro parisien!). Ce qui fait dire à Christophe Vacheron, directeur de RATP Dev Rhône-Alpes et Suisse, que le Salève est le grand frère du funiculaire de Montmartre.
D’autres mesures ont porté leurs fruits: lors de la construction de l’autoroute blanche, une aire de repos a été installée à côté de la gare inférieure. D’où la possibilité d’aller souffler au Salève sur le chemin des vacances. En 2009, la réouverture de L’Horizon, le restaurant attenant à la gare supérieure, fermé depuis 1973, a dopé les chiffres: désormais, 18% des passagers viennent pour manger avec Genève à leurs pieds. Du jeudi au samedi, ils peuvent même redescendre en téléphérique jusqu’à 23 h.


Geste architectural
Inauguré le 29 août 1932, le premier téléphérique doit sa naissance à la vision du Genevois Maurice Delessert, administrateur du chemin de fer à crémaillère d’alors. L’homme avait un rêve: emporter en six minutes les passagers au Salève, puis les ramener en douceur sur terre, avec la crémaillère, par les forêts et les pâturages. Au final, le téléphérique signera l’arrêt de mort du train. L’installation à câble ne tardera pas à connaître des difficultés elle aussi: l’ouverture, en 1936, de la route du sommet le plombe, puis la guerre le contraindra à l’arrêt jusqu’en 1947.
Mais sa construction a donné lieu à un magnifique geste architectural du Genevois Maurice Braillard: pour la station supérieure, il imagine un nid d’aigle aérien, surplombant le vide, en béton brut de décoffrage. Une configuration forcée par une géologie médiocre qui interdisait tout ancrage en profondeur. Le projet prévoyait même un hôtel sur le socle arrière et un restaurant panoramique sur la couronne supérieure. Ni l’un ni l’autre ne verront le jour. Si un restaurant est construit sur le côté, la couronne arrondie, si caractéristique, a été recouverte de tôle et sert de relais à Swisscom.
A deux heures de Bulle, le Salève offre des panoramas prodigieux. Sur Genève, que l’on se surprend à trouver toute petite, noyée dans les champs du bassin lémanique, et sur le massif du Mont-Blanc, ce phare dont le regard ne peut se détacher. Et puis, là-bas au fond, discret, faisant le dos rond, il y a, bien sûr, le Moléson.

 

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Le mal nommé funiculaire du Salève
Au XIXe siècle, l’idée d’un train sur le Salève a très tôt germé. Promoteurs et capitaux étaient – déjà – principalement suisses. La ligne entre Etrembières et Treize-Arbres (sommet) est ouverte dès 1892: c’est le premier chemin de fer électrique de montagne au monde totalement à crémaillère. En 1894, l’embranchement entre Veyrier et Monnetier est mis en service, complétant le réseau en Y de 8,7 km. La voie est métrique et les automotrices captent le courant par deux patins glissant sur un troisième rail latéral! La technique permet des ouvrages d’art moins hauts, car sans caténaire. Mais elle est dangereuse, malgré une barrière de protection. Trois personnes y laisseront leur vie: un chef d’exploitation, un champignonneur et un enfant parti chercher des cyclamens pour sa maman.
Le succès est immédiat auprès, notamment, des Genevoises en crinoline à qui l’on évite ainsi la montée à dos d’âne. Au départ de Veyrier, le passage vertigineux du Pas-de-l’Echelle par un tunnel (toujours existant) impressionne. Des soucis financiers, mais surtout les constructions successives de la route et du téléphérique signeront l’arrêt de mort, en 1934, du petit train, injustement appelé funiculaire jusqu’à nos jours.
Aujourd’hui, il n’en reste que de rares traces, dont la rampe en dessus de Monnetier (la préférer à la montée…), les haltes des Treizes-Arbres et de Monnetier-Mairie, le tunnel et quelques ponts. Au Pas-de-l’Echelle, non loin des carrières, la seule voie de communication qui subsiste est le sentier qu’empruntent les hommes depuis des siècles. Aucune échelle n’y a jamais été installée, mais des marches, dont certaines creusées à même la roche et qui, à la descente, brisent les mollets. JnG

 

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Côté pratique
Accès: en train via Genève, puis le bus 8 jusqu’à Veyrier-Douane. En voiture, par l’A40 via le parking de l’A40 (accès dans le sens Etrembières-Archamps). Attention: le téléphérique sera fermé du 12 novembre au 15 mars prochains (remplacement des câbles).
Ravitaillement: le Salève n’a pas d’eau. C’est ce qui l’a sauvé des promoteurs qui – faut-il s’en étonner? – ont rêvé de le coloniser. Aucune fontaine au sommet. Prévoir donc des réserves. Manger: à L’Horizon, le restaurant réputé du téléphérique. Juste à côté, une buvette dispose d’une jolie place de jeux. Belle place de pique-nique sur l’esplanade adjacente. Pour voir le Mont-Blanc, il faut pousser jusqu’à l’observatoire (25 minutes à pied vers le sommet) où un restaurant du même nom, qui ne paie pas de mine, cache un intérieur délicieusement suranné avec une cuisine et un accueil soignés.
Activités: elles sont foisonnantes. Honneur à la varappe (400 voies!) qui doit son nom à la Grande Varappe, une gorge du Salève «vaincue» en 1879. D’innombrables vocations sont nées au pied du Salève dont celle de Horace-Bénédict de Saussure, l’un des pères de l’alpinisme. Le parapente et le VTT ne sont pas en reste. Enfin, le Salève est le paradis des randonneurs: sentier botanique, boucles sur le plateau sommital, descentes vers la plaine, tout est possible.
Sources: Le Salève autrement, joli petit livre édité chez Slatkine en 2012. Le site d’histoire régionale www.la-salevienne.org recèle notamment un document de Gérard Lepère sur l’ancien chemin de fer à crémaillère. Autres infos sur www.telepherique-saleve.fr et www.saleveautrement.ch. JnG

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