PAR ANGéLIQUE RIME
Le Grossmutterloch, soit le trou de la grand-mère en français. Chaque promeneur ayant cheminé au pied de la chaîne des Gastlosen a certainement remarqué cette ouverture béante de quinze mètres sur cinq. Mais d’aucuns se sont-ils déjà
demandé quelle est son origine? Grâce au sentier géologique des Gastlosen, composé de douze postes, la soif d’apprendre des curieux sera apaisée.
«C’est une question de tectonique et d’érosion, explique le géologue Luc Braillard, un des fondateurs du sentier. Des strates calcaires, qui forment aujourd’hui les Gastlosen, se sont déposées il y a 150 millions d’années au fond de la mer Thétys. Cet océan, qui se situait entre les continents européen et africain, s’est progressivement refermé. Ces ro-ches ont été comprimées, plissées, puis se sont soulevées. Lors de ce redressement, plusieurs fractures se sont créées. Le Grossmutterloch (poste No 1) se trouve à l’intersection de plusieurs de ces failles. L’érosion a donc été facilitée sur cette zone de faiblesse, jusqu’à former une cavité.»
Pour «mieux voir les Gastlosen», le groupe de six personnes conduit par Luc Braillard s’en éloigne d’abord un peu. Depuis le départ du sentier, au chalet de Gross Rüggli, les marcheurs se dirigent vers celui de Rotter Sattel (lire encadré). Ils traversent un glissement de terrain (poste No 3). Au premier coup d’œil, difficile de l’identifier. «Lorsqu’on se promène, on n’a pas forcément conscience de ces phénomènes.»
«Ici, il n’y avait pas la mer»
Le géologue fait remarquer que la végétation est différente. Le terrain est également très argileux, si bien «qu’on pourrait presque faire de la poterie. En moyenne, le terrain bouge de vingt centimètres par année. Ce glissement de terrain ne pose pas vraiment de problèmes. Seule la route alpestre qui passe en contrebas est menacée. Sur la crête située un peu plus haut, un autre glissement est cependant plus problématique. Le ruisseau du Petit-Mont pourrait se boucher et des matériaux meubles descendre jusqu’à La Villette.» La chaleur se fait plus intense. Le groupe avale progressivement le dénivelé qui mène jusqu’au poste No 5, les «couches rouges». Luc Braillard sort son marteau et casse quelques cailloux. «Il s’agit de calcaire contenant une grande proportion d’argile, ce qui rend la roche relativement friable. Les sédiments constituant ces couches se sont déposés il y a environ 40 millions d’années dans la mer Thétys, à environ 200 mètres de profondeur.»
A cet endroit, les spécialistes ont trouvé une dent de requin fossilisée de deux centimètres. Mais attention, n’allez pas dire «qu’ici se trouvait la mer». «Les roches se sont déplacées, plissées, puis soulevées», rappelle Luc Braillard. Le sentier se poursuit dans la forêt, dont les arbres octroient une ombre bienvenue. Vingt mètres en dessus du chemin, les yeux des randonneurs sont attirés par une paroi de radiolarite fortement plissée (poste No 7). Cette roche contient principalement de la silice et tire son nom des organismes unicellulaires qui la compose, les radiolaires. «Ces cou-ches se situaient du côté africain de la mer Thétys, à près de 5000 mètres. Un bout d’Afrique est donc venu jusqu’à nous!» image Luc Braillard.
Près des montagnes
Le chemin menant au poste No 8 devient plus raide. Mais l’effort est récompensé par une vue splendide sur les Gastlosen, qui avaient disparu du champ de vision depuis un moment. Au loin, on aperçoit déjà le toit du chalet du Soldat, signe que la randonnée touche à sa fin. Ne reste plus pour les promeneurs que trois postes, au pied des montagnes. Puis, la descente vers le lieu de départ. Arrivé au terme de la balade, le regard qu’on porte sur les Gastlosen est assurément différent.
Plus d'informations sur www.sentier-geologique.ch
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Petite halte gustative à Rotter Sattel
Le chalet de Rotter Sattel se situe entre les postes No 3 et No 4. Un panneau en bois avec l’inscription «tommes de chèvre fraîches» attire l’attention de Luc Braillard, qui a créé le sentier géologique des Gastlosen avec Daniel Rebetez. A l’intérieur, Philippe Déforel accueille le groupe. «Je passe l’été ici pour la deuxième fois. J’aime cet endroit. Il y a quelque chose de spécial, une énergie particulière», explique l’armailli. Dans la pièce destinée à la fabrication, Philippe Déforel dépose deux tommes sur une assiette en plastique. «J’en fabrique généralement quatre par jour et j’en mange deux ou trois. Pour le reste, je descends une fois par semaine à Bulle et je les offre à mes connaissances», explique-t-il. De leur côté, les marcheurs, installés au soleil, dégustent les tommes de chèvre avec un plaisir non dissimulé.
Les estomacs remplis, le groupe se remet en marche. Luc Braillard en profite pour préciser que le chalet, situé derrière deux gros blocs de pierre, est idéalement placé. «Il est protégé des avalanches et se situe à la limite d’un glissement de terrain. Ces connaissances des zones stables se sont transmises de génération en génération.» AR
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Côté pratique
Le départ du sentier géologique des Gastlosen se situe près du chalet de Gross Rüggli, à Bellegarde. En
voiture: Depuis Bulle, suivre les panneaux Charmey/Jaunpass jusqu’à Bellegarde. Juste avant la sortie du village, bifurquer à droite en suivant les indications «chalet du Soldat». Continuer la route goudronnée sur trois kilomètres jusqu’à un grand panneau bleu indiquant le départ du sentier. En transports publics: Rejoindre Bellegarde en bus, puis continuer à pied jusqu’au parc de Gross Rüggli. Compter entre une heure et une heure et demie de marche. Durée: En faisant des pauses pour lire les informations à chacun des douze postes proposés, environ quatre heures sont nécessaires pour accomplir l’intégralité de l’itinéraire, qui comprend un dénivelé positif de 550 mètres. Ajouter une heure pour redescendre du chalet du Soldat, où les gourmands peuvent se restaurer, jusqu’au parc. Le sentier ne présente pas de difficultés particulières. Il est toutefois nécessaire de se munir d’un équipement adapté à la marche en montagne.
Signalisation: Des panneaux bleus indiquent le chemin à suivre. Depuis 2013, le sentier fait officiellement partie des sentiers pédestres du canton de Fribourg. Ainsi, les promeneurs peuvent également suivre les traditionnels panneaux jaunes, estampillés d’un autocollant vert et bleu.
Sur le chemin qui mène à Bellegarde, il est également possible de s’arrêter à la cascade. Considérée comme un «haut lieu tellurique», son débit annuel moyen est de 700 litres par seconde et peut parfois augmenter jusqu’à 6000 litres par seconde. Son bassin d’alimentation se situe au pied du Vanil-Noir. L’eau, qui traverse plusieurs grottes, met environ neuf jours avant d’arriver à Bellegarde. Elle avance donc à une vitesse moyenne de 45 mètres par heure. AR
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