Im Fang, le village «encaissé» qui ouvre à la Suisse allemande

| jeu, 24. aoû. 2017

Dernier épisode de notre série sur les villages du Sud fribourgeois avec La Villette, enfin non, Im Fang (vous verrez pourquoi), cette porte
d’entrée vers une Suisse que l’on dit alémanique, mais où le parler des Jauner n’est pas toujours bien compris.

par Christophe Dutoit

Passé Pra Jean, à la sortie de Charmey, un signe ne trompe pas: l’autoradio calé sur La Première commen-ce à grésiller… A peine arrivé à Im Fang, on est déjà en Suisse allemande. Au fait, doit-on dire Im Fang, comme à l’entrée du village ou sur la carte au
1:25 000? Ou La Villette, comme La Gruyère s’évertue à l’écrire au grand dam des Alémaniques de souche? Même
Le Temps s’est posé la question ce printemps, c’est dire si le sujet est important. «Ici, on dit Im Fang et Jaun, et celui qui cherche Bellegarde sur un panneau routier risque bien de monter jusqu’au col», se marre Jean-Claude Schuwey, syndic de Jaun… mais natif et fier habitant d’Im Fang. Au fait, en traduction littérale, im Fang veut dire encaissé, clôturé. «On est pas pour dire “coincés”, mais un peu “encerclés” par les montagnes…»

Comme tout village alpin, Im Fang a construit son histoire le long du ruisseau, dont on tirait jadis l’énergie pour la forge, le moulin… A la fin du XIXe siècle, l’aïeul de Jean-Claude Schuwey installe sa scierie le long du Klein Montbach. «On a déménagé l’usine au début des années 1970. Aujourd’hui, ce ne serait plus possible de bâtir si près de la rivière…»

En 1996, Jean-Claude Schuwey succède à son frère Beat à la syndicature. «Je ne suis que le quatrième Ammann depuis 1944.» Pour l’anecdote, la commune a toujours été dirigée par un habitant d’Im Fang depuis cette date, à l’exception d’une parenthèse de huit ans entre 1966 et 1974… Pour qui ne le connaît pas, l’homme est affable, volontiers guilleret et intarissable lors-qu’il s’agit de causer des Jauner. Ça tombe bien.

Im Fang a toujours fait partie de la commune de Jaun, à l’instar des autres hameaux de Zur Eich, Kappelboden ou Weibelsried. En revanche, Im Fang bénéficie de longue date de sa propre église, magnifiquement restaurée au début des années 2000. Rien d’étonnant pour une commune qui compte quatre cures… «Jusqu’aux années 1980, il y avait un curé à Jaun et un chapelain à Im Fang.» Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, le curé fait chaque week-end le trajet depuis Fribourg, en alternance dans chacune des églises. «Tou-
tefois, les enterrements ont lieu à Jaun, même si le cimetière d’Im Fang est encore en activité.» Un cimetière où se succèdent les fameuses croix couvertes, dans l’esprit de celles de Walter Cottier, comme à Jaun.

Un cimetière qui se remplit ne signifie pas forcément que le village se vide. Environ 150 personnes vivent actuellement à Im Fang, un peu moins de 700 dans l’ensemble de la commune. «Il n’y a pas vraiment de maisons vides ou délaissées, mais elles tournent souvent en résidences secondaires», explique Jean-Claude Schuwey.

Comment faire pour que les jeunes restent dans la commune est une question récurrente. Les jeunes couples ont certaines exigences de confort… Surtout, il est important que l’économie locale fonctionne. Quatre employeurs sont installés à Im Fang: la scierie et charpenterie Chalet Schuwey (35 postes), le ferblantier Karlen (3), le maçon Rauber (2) et les EW Jaun (4). «Jusqu’au début des années 1990, l’armée était le plus grand employeur, avec une trentaine de postes de travail.» Mais tout s’est peu à peu arrêté depuis quelques années.
Dans la commune, environ la moitié de la population active est pendulaire. Certains se déplacent jusqu’à Berne. L’autre moitié travaille dans la commune. A l’inverse, un certain nombre d’employés montent chaque matin de la plaine, à l’instar d’Arnaud Conus, qui fait quotidiennement les quarante minutes de trajet depuis Vuarmarens. «Chalet Schuwey était le plus proche lorsque j’ai cherché un stage lors de ma formation à l’Ecole du bois, à Bienne», explique le jeune technicien du bois, parmi la dizaine de francophones que compte l’entreprise. Après, je suis resté.»

En 2015, un seul enfant est né dans la commune, ce qui ne manquera pas de poser un jour la question de la survie de l’école primaire. Par chance, la boulangerie, la banque, l’industrie du bois, l’administration communale, la laiterie ou l’électricien offrent des places d’apprentissages, mais pas en suffisance pour tous les jeunes Jauner. «A l’époque, les enfants reprenaient l’entreprise familiale, ça ne se discutait pas, évoque Jean-Claude Schuwey, qui a passé le témoin à la cinquième génération de Schuwey. Aujourd’hui, c’est différent.»
A Im Fang, on y passe (souvent), on s’y arrête (parfois, au bistrot), mais on y monte rarement sur sa colline, absolument idyllique sous le soleil de la mi-août. Le village respire la quiétude, le silence, l’immobilisme. Les habitants doivent être au travail ou en vacances, se dit-on en flânant dans ces ruelles pittoresques et déjà  très dépaysantes, avec ces chalets aux façades décorées, ces fleurs aux balcons, ces hirondelles prêtes à décoller pour faire un prochain printemps.

Depuis quelques mois, le village vit une forme d’emballement médiatique. Une pleine page dans la NZZ la semaine dernière, des articles dans la presse française. En mars, la télévision SRF a diffusé cinq épisodes d’une heure dans le cadre de son émission Bi de Lüt – Unser Dorf, regardée chaque vendredi – en prime time – par près d’un demi-million de Suisses alémaniques. «Le lundi suivant, des gens arrivaient de Zurich et demandaient où se trouvait la maison de ma sœur, Kathrin Mooser, qui a tenu la boulangerie durant plus de cinquante ans», raconte Jean-Claude Schuwey. Héroïne de l’émission aux côtés de Felix Thürler (ils l’ont suivi jusqu’au Népal), de Carmo Rauber ou de Monika et Patrick Buchs, elle a livré un éclairage nouveau sur ce village si exotique par sa situation géographique (seule commune alémanique de la Gruyère), mais surtout pour son dialecte. «Certains m’ont dit qu’ils ont adoré l’émission, mais qu’ils n’avaient rien compris.»

Au-delà du dialecte, Im Fang a toujours entretenu de bonnes relations avec la Gruyère francophone. D’aucuns se souviennent des célèbres «bastringues» de la bénichon, en juillet, à la Saint-Jacques. Aujourd’hui, beaucoup de francophones viennent encore danser le dimanche au bistrot Zur Hochmatt.

«A l’époque, le Ski-club d’Im Fang faisait partie de l’association romande, tandis que le Ski-club Jaun appartenait à l’association bernoise», éclaire Jean-Claude Schuwey. Jusque dans les années 1980, un petit téléski faisait le bonheur des débutants à Im Fang. «On s’était résigné à le laisser tomber. On a décidé qu’Im Fang se spécialisait dans le ski de fond et Jaun dans le ski alpin.» Un concept qui fonctionne très bien, notamment avec l’installation de canons à neige pour le ski de fond, qui a permis l’ouverture des pistes durant plus de cent jours l’hiver dernier. «On était le seul coin où pratiquer le ski de fond. Beaucoup de clubs sont venus organiser leur course.»
Le tourisme est un secteur primordial pour ce fond de vallée. «Qui d’autre propose des places de travail à Jaun? plaide le syndic. A l’époque, des entreprises d’horlogerie ou de cartonnage donnaient du travail aux habitants. Aujourd’hui, que reste-t-il? Il n’y a pas 100 000 solutions, mais le tourisme en est une. Il faut être optimiste: tout n’est pas perdu. Il faut toujours regarder de l’avant.»

 

21 consonnes et 23 voyelles
Le dialecte parlé à Jaun est si unique que même la plupart des Suisses allemands ne le comprennent pas. Auteur du premier dictionnaire
du Jùutütsch paru en 2014, Léo Buchs a recensé 11 800 mots, dans une langue qui comporte 21 consonnes et 23 voyelles (elles retranscrivent des nuances de sonorités aussi précises que uu, ú, ù, ùù, ùu, ü, üü, ǜ, ǜ, üe ou encore uè), avec certains emprunts au patois gruérien.

Essayez de lire à haute voix cette présentation sur le Wikipédia dédié au dialecte: «Jùu isch dì enzìgì tütschspraachìgì Gmìi ìm Grüerschbìzìrk, ù ds Jùutütsch ìsch ìnnerhaùb va de Tütschschwyzer Mùndarte eppes Appartegs. Dia Mùndartspraach gküert zum Höchstalemannische ùn ìsch fasch mia mitem Berner Oberländisch wa mitem Senslertütsche verwàndt. De Grùnd derfǜǜr ìsch a spraachlìchì Isolation va Jùu: Z desúús (ìm Weschte) ìsch d Spraachgrenza zu de Wäùtsche, wa mù Französisch red, früer Patois, im Norde isch dr Wääg in de tütsch-spraaìg Sensebezìrk mìt hueje Bäärga versperrta, wa mù nùmme ùber de Nǜischels ds Fues drùber chòò. Aber òò dì Kontäkt zum Sǜbetaù ìm Kanton Bärn sì làngì Zyt iender raar gsy, syt ass sì enetem Brùch
dr Glùube tùsche hìi, aber Jùu katòòlesch blìben ìsch.» Facile, non!

(traduction: Bellegarde est la seule commune alémanique dans le district de la Gruyère. Son dialecte est particulier parmi les dialectes suisses allemands. Il fait partie de la région haut-alémanique, avec davantage de parenté avec le dialecte de l’Oberland bernois que de la Singine. La raison est l’isolation linguistique du village. En dehors, à l’ouest, se trouve la frontière linguistique avec les Romands, où l’on parle français, et patois auparavant. Au nord se trouve la route vers le district de la Singine où l’on parle allemand, séparé par des hautes montagnes que l’on peut atteindre uniquement à pieds par le col des Euschels. Les contacts avec le Simmenthal dans le canton de Berne étaient plutôt rares au-delà du col du Jaun, à cause de la différence de religion, car Bellegarde est restée catholique).

 

Roger Schuwey chez Trump
Dans son antre de la Hochmatt, Roger Schuwey ne laisse personne indifférent, c’est lui-même qui le dit au moment de faire le tour des tables. Qu’on l’aime (pour sa musique ou sa bonhomie) ou qu’on le déteste (pour ses histoires de chasseur), le député UDC est une figure emblématique d’Im Fang. Depuis trente ans, il tient avec son épouse le bistrot Zur Hochmatt, connu loin à la ronde pour ses truites, sa charbonnade ou ses cordons bleus. Surtout, on vient à la Hochmatt pour danser au son de son schwyzerörgeli. «J’ai commencé l’accordéon à l’âge de 10 ans, un instrument mis en vente pour 50 francs dans l’Echo von Jauntal, que je suis allé chercher à vélo, raconte Roger Schuwey, jamais avare d’anecdotes. Fondateur du jodlerklub en 1984, l’autodidacte a fait du chemin. Comme en atteste un diplôme accroché à côté de ses trophées de chasse, il a joué, en 1995, devant plus de 7000 spectateurs dans le Trump Taj Mahal
d’Atlantic City. «J’étais en bredzon, j’ai yodlé, j’ai joué du saxo sans répéter avec l’orchestre et je vivais dans une suite – tous frais payés –grande comme le café. Mais je n’ai pas vu Trump…»

 

Ajouter un commentaire

CAPTCHA
Cette question est pour tester si vous êtes un visiteur humain et pour éviter les soumissions automatisées spam.

Annonces Emploi

Annonces Événements

Annonces Immobilier

Annonces diverses