«Je travaille d’abord pour ceux qui ne trichent pas»

jeu, 12. jui. 2018
Homme déterminé et résolument optimiste, Norbert Baume assure ne pas se décourager face au fléau persistant du dopage. «Les difficultés, au contraire, me stimulent», assure le directeur adjoint du LAD. ANTOINE VULLIOUD

PAR QUENTIN DOUSSE

C’est l’éternelle histoire du policier et du voleur, de l’autorité traquant l’athlète malhonnête car dopé. Dans le rôle du premier, on retrouve Norbert Baume. Cet homme de 41 ans se décrit comme un simple maillon de la chaîne. Un maillon pourtant essentiel pour combattre le fléau passé, actuel et futur du sport. «La lutte antidopage aura toujours un coup de retard, c’est certain. Car il demeure un laps de temps entre l’utilisation d’une nouvelle substance et le contrôle effectif. A nous de minimiser ce délai», explique le directeur adjoint du Laboratoire suisse d’analyse du dopage (LAD), basé à Epalinges.

S’il assume son côté «naïf» face à certaines performances, Norbert Baume ne se berce pas d’illusions. Malgré des moyens de lutte plus efficaces, des tricheurs résisteront à l’air du temps. «Un sport 100% propre? Je n’y crois pas, car la tricherie est inscrite dans la nature humaine. Mais l’écart avec les fraudeurs s’est réduit grâce à des outils comme le passeport biologique (n.d.l.r.: suivi temporel individuel de marqueurs biologiques pouvant révéler les effets du dopage). Les chiffres montrent d’ailleurs que les cas ne sont pas en augmentation, au contraire», souligne le Vaudois installé à Attalens avec sa femme et ses deux filles, de 10 et 8 ans.

Un quotidien très varié

Optimiste: l’adjectif correspond tant à sa personnalité qu’à son discours. «Je ne travaille pas pour attraper les athlètes qui se dopent, mais d’abord pour promouvoir les athlètes qui ne trichent pas.» Une nuance importante aux yeux de Norbert Baume, qui a depuis tout petit cru aux vertus du sport. Sans doute l’héritage de sa maman Rianne, laborantine, et de son papa Jean-Pierre, soigneur masseur au sein notamment de l’équipe cycliste suisse Cilo-Aufina dans les années huitante. «Avec lui, on parlait souvent du thème du dopage, se rappelle ce polysportif et amateur de gym aux agrès. Comme le sport, les sciences m’ont toujours intéressé. J’ai ainsi trouvé le parfait dénominateur commun.»

S’en suivront, entre 1999 et 2005, un doctorat en biologie et un master en sciences du sport. Puis, sa première expérience comme scientifique au LAD. Il gravit les échelons en devenant responsable opérationnel (2010), puis directeur adjoint (2016). Passant du labo au bureau, il lui revient la gestion des budgets, des ressources humaines (26 collaborateurs), la validation finale de résultats d’analyse et aussi la représentation du LAD devant le Tribunal arbitral du sport, notamment. «C’est vrai que le terrain, là où il faut trouver LA solution, me manque parfois. Mais mon quotidien est très varié et ça, c’est la beauté de mon poste.»

Au LAD, unique laboratoire suisse parmi les 33 sites reconnus par l’Agence mondiale antidopage (AMA), plus de 13 000 échantillons (urinaires et sanguins) ont été analysés en 2017. Septante d’entre eux ont abouti à un résultat anormal. «Un cas positif apporte de la satisfaction dans le sens où il valide la qualité de notre travail», note l’Attalensois.

«On se forge aussi un caractère»

Si l’anonymat est garanti durant tout le processus d’analyse, il arrive que Norbert Baume entre en contact direct avec le sportif accusé. Dans le cas où ce dernier souhaite assister de ses propres yeux à l’analyse de l’échantillon B. Une situation qui s’est produite à une dizaine de reprises l’an dernier. «Nous devons lui expliquer la procédure et lui prouver qu’il n’y a pas eu de mauvaise manipulation. Pour nous aussi, il peut y avoir un certain stress.»

De l’histoire du LAD, créé en 1990, l’échantillon B n’a jamais «contredit» le résultat de l’échantillon A. Reste néanmoins ce rapport particulier entretenu avec un athlète qui voit son destin se jouer dans un laboratoire. «En général, celui-ci ne vient pas avec un esprit de revanche. Si certains se montrent très agressifs, la plupart font profil bas. D’autres sont détruits, en pleurs, car ils s’entraînent depuis plusieurs années et un contrôle positif vient porter un coup à leur vie d’athlète.» Norbert Baume se rappelle d’un cas. «Un lutteur, tellement gentil et honnête, m’avait touché. Car il était parachuté là sans qu’il comprenne vraiment ce qui lui arrivait. C’est vrai qu’on peut parfois ressentir de l’empathie, mais on n’est pas là pour plaindre les athlètes. On fait notre job et on doit savoir mettre des barrières pour ne pas être influencé dans notre travail. Par là, on se forge aussi un caractère.»

Des pressions à gérer

Fort d’une dizaine d’années d’expérience, Norbert Baume a constaté les nombreuses évolutions dans l’univers du dopage. Au niveau des produits, des doses, des techniques, mais aussi sur «la folle pression mise aujourd’hui» sur un laboratoire comme le LAD. «Il y a davantage de cas compliqués parce qu’on a atteint une meilleure sensibilité sur des faibles doses, explique le directeur adjoint. Il y a aussi toujours plus de règles et de procédures pour déclarer un cas positif. On vit avec une pression quotidienne, alors qu’il y a peu de reconnaissance du milieu sportif. C’est un côté frustrant.» Si les attaques étaient principalement dirigées sur Martial Saugy (ancien directeur), Norbert Baume a parfois aussi dû travailler dans un climat tendu. Comme en 2013, lorsque le LAD avait été accusé à tort d’avoir aidé Lance Armstrong à contourner les tests d’EPO. Ou encore en 2015, quand la structure vaudoise avait été incriminée après la destruction d’échantillons russes. «C’était deux coups durs pour le labo. Il n’y a pas eu de suspension, mais il a fallu prouver notre intégrité et notre réputation a été affectée.» Le Veveysan d’adoption se souvient: «J’ai personnellement été touché, car on remettait en cause mon travail. Même si on a respecté les règles, on se dit que tout notre travail est détruit. On se remet forcément en question.»

Norbert Baume refuse toutefois de se lamenter. Homme combatif, affable et déterminé, il avance contre vents et marées pour défendre la cause des sportifs loyaux. «Je n’ai jamais douté de mon travail ni cédé au découragement. Les difficultés, au contraire, me stimulent. Et le jour où je ne croirai plus à un sport respectant les athlètes propres, je changerai de job!» ■


«L’affaire Froome ne restera pas sans conséquences»

Le Tour de France, qui arrive aujourd’hui au Mûr-de-Bretagne pour sa sixième étape, a défrayé la chronique avant même son départ donné samedi dernier. En cause, «l’affaire Chris Froome». Bref rappel des événements: lors de sa victoire à la Vuelta en septembre dernier, le Britannique de la Sky a fait l’objet d’un «contrôle anormal» au salbutamol. Problème: si le coureur bénéficie d’une autorisation à usage thérapeutique pour ce médicament antiasthme, l’échantillon urinaire a révélé une concentration deux fois supérieure à la limite de 1000 nanogrammes/millilitre de sang. S’en sont suivis dix mois de procédure impliquant les avocats de l’équipe Sky, l’Agence mondiale antidopage (AMA) et l’Union cycliste internationale (UCI). Menacé d’être refoulé au départ de la Grande Boucle par ASO, l’organisateur, Chris Froome a finalement été blanchi par l’UCI sur la base de nouvelles études scientifiques. Un imbroglio néfaste pour le cyclisme, mais pas seulement. «Je suis conscient que cette affaire n’est pas bonne pour l’image de la lutte antidopage, souffle Norbert Baume. Le grand public se pose des questions sur la pertinence des règlements et de la lutte antidopage en tant que telle. Après, chaque cas nécessite un travail d’interprétation des résultats d’un contrôle et de son contexte.»

Si le LAD et son directeur adjoint refusent de se prononcer publiquement sur le dossier précité (respect du devoir de confidentialité oblige), Norbert Baume ajoute néanmoins que «cette affaire ne restera pas sans conséquences. La décision (de finalement blanchir l’athlète) générera des questions sur les règles actuelles concernant la dizaine de ces “substances à seuil”.» Le Veveysan d’adoption pressent même une «réflexion plus profonde» de l’AMA. «Ces substances sont compliquées à gérer. Comment justifier un seuil? Celui-ci doit être scientifiquement prouvé et c’est là que tout se joue. A l’avenir, ce n’est pas impossible qu’on revoie toutes les limites en vigueur. Cela s’est déjà produit il y a plusieurs années avec le cannabis, par exemple. Ces seuils constituent le prochain grand challenge des instances.» Des instances qui devront désormais aussi composer avec des bataillons d’experts, de scientifiques et d’avocats pour justifier leurs positions. C’est du moins ce que le cas Chris Froome a démontré et semble présager pour l’avenir. QD

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